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Crise sociale en Guinée : la nécessité du calme et du dialogue

A la lecture de ce qui se passe actuellement en Guinée, on est tenté de penser que le chaos s’installe peu à peu dans la rue. Mais loin des préjugés ou des attitudes de dramatisation, il est des raisons de croire que la Guinée ne traverse qu’une infime partie de ses habituelles crises sociales. 

Les acteurs, les faits et les circonstances sont en effet des indicateurs de simples troubles dont les fondements et les éventuels aboutissements, quel que soit le résultat, ne sont en réalité que des démonstrations de force qui ne profitent en rien au pauvre guinéen.

Bien entendu, le discours est celui de la défense des intérêts du peuple, mais la méthode va dans le sens inverse. Lutter pour la baisse du prix du carburant est un noble combat, imposer aussi des mesures drastiques de redressement économique est une décision économiquement et socialement courageuse.

Cette crise sociale, née de l’augmentation des prix des hydrocarbures, peut en effet s’analyser sous différents angles, chacun d’eux reflétant exactement la position et l’argument de son porteur. Aucun discours n’est pour autant hors du cadre de la crise, mais voyant de plus près cette situation, il y a des faits anodins qui constituent des carburants pour les acteurs du moment.

Le gouvernement

La décision de hausse du prix des hydrocarbures est en effet une décision courageuse du point de vue politique pour un régime en fin de mandat, désirant conserver le pouvoir dans moins de deux ans. Mais l’économie a ses règles, et celles-ci n’obéissent pas à la politique, du moins pour qui veut développer son pays.

Il semble que les guinéens ont la mémoire courte. Jusqu’en 2010, le prix du litre d’essence était vendu à 10.000 francs guinéens dans un contexte économique désastreux caractérisé par l’utilisation abusive de la planche à billets. Le pays ne s’est pas pour autant arrêter de tourner comme c’est le cas aujourd’hui.

En plus, du fait que sur le marché international le prix du baril est reparti à la hausse, il est important de rappeler également la mesure très populaire, mais économiquement risquée, qui a conduit à la hausse de 40% des salaires en début d’année 2018. Toutes les presses responsables ont tiré la sonnette d’alarme pour avertir que cette mesure aurait des répercussions sur le prix du carburant et d’autres secteurs subventionnés tels que l’électricité. Nous voici en face de la situation.

Si ce contexte pourrait dédouaner l’Etat face à sa décision d’augmenter le prix des hydrocarbures, il est cependant nécessaire de rappeler que la seule hausse des salaires n’a pas pu provoquer cette situation économique inquiétante au point de devoir se plier aux exigences du Fonds Monétaire International pour redresser la barre.

En début d’année 2018 déjà, le rapport d’exécution de la loi de finances 2017 révélait d’énormes anomalies de gestion qui ont occasionné le creusement du solde budgétaire de l’ordre de 1.1% du PIB alors qu’il était excédentaire de 0.5% jusqu’au mois d’octobre de la même année. Pourtant, la lecture de ce rapport indique clairement que les objectifs de mobilisation de ressources (93,92 % par rapport à la prévision annuelle) ont dépassé les objectifs de dépenses (84,92% par rapport à l’objectif annuel 2017). Certes, des efforts d’encadrement des recettes publiques ont permis de relativement maîtriser les pertes, mais le déficit est tout de même apparu au bout du tunnel, la faute aux détournements et aux AP (autorisation de paiement).

Si cette hausse de prix de carburant semble bien impopulaire, c’est parce que son exécution lui ôte toute légitimité. En effet, ceux-là même qui ont participé à creuser le déficit budgétaire ne sont pas touchés par cette mesure. De même que ceux qui profitent largement d’une éventuelle baisse de prix (les hauts perchés de l’administration et les entreprises aux fortes assises financières).

Syndicalistes et Forces sociales

Ils mènent une lutte noble, mais les deux n’opèrent pas le même calcul. Souvenez-vous, il y a quelques mois, le SLECG (Syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée) à travers son entêtement à aller en grève et la réussite de son mouvement, a participé à mettre au placard une classe syndicale jugée trop conciliante. Cette dernière en quête de virginité profitera de toutes les failles pour se faire entendre. Seulement, les faits sont têtus, l’histoire retiendra que ce sont les mêmes  syndicalistes  qui ont échoué dans leur grève de février 2016 visant la baisse des prix du carburant, alors que le contexte était plus favorable. Pire, ils ont signé un accord qui autorisait l’Etat à augmenter ce prix au gré des fluctuations sur les marchés internationaux. Cette classe syndicale a perdu une légitimité qu’elle tente de reconquérir à tout prix.

Quid des Forces sociales ? Le discours séduit, le caractère aussi. Mais à force de jouer un pied dedans et un pied dehors, leurs mouvements sont faciles à étouffer. Cette nouvelle classe de “résistants” semble pourtant déterminée à jouer son rôle, aidée par une jeunesse “révoltée” et une couverture médiatique de plus en plus large. Sauf que les querelles intestines et les calculs de positionnement leur feront perdre d’ardeur sous peu.

Sortir de la crise

Il serait utopique de penser que l’Etat reviendra sur sa décision, du moins dans l’immédiat. Bien que les causes de ce déficit budgétaire semblent connues de tous, il est clair que le gouvernement, unique responsable, compte le faire payer à la population. Mais comme le dit l’adage, le tableau est peint, l’eau est versée, le vin est tiré, il faut le boire.

Autrement dit, la fragilité de l’économie est connue, il faut lui apporter des remèdes, celle adoptée par le gouvernement ne sent pas le recul.  Il est surtout important de signaler que les crises à répétition, les manifestations cycliques, la paralysie généralisée et les violences récurrentes sont des facteurs  qui risquent d’empirer la situation pour les prochains mois, prochaines années.

Ce qu’il faut exiger, ce n’est pas la baisse du prix du carburant (qui n’est qu’une mesure conjoncturelle), il faut plutôt s’attaquer à l’assainissement de la gouvernance au plan structurel pour éviter que ce qui a poussé à la présente crise ne se répète dans l’avenir.

 

Emmanuel MILLIMONO

Journaliste Reporter d’Images

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