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Ethnocentrisme en Guinée, ce virus qui nous affecte tous !

Tribune. Youla Guinée est une grande famille, a-t-on l’habitude de dire en Guinée, surtout pendant les périodes de troubles et d’incertitudes ô combien nombreuses, durant les soixante-deux ans de vie de notre chère République de Guinée.

Cette belle notion que la Guinée est une grande famille que chacun de nous : gouvernants, gouvernés, pauvres, riches, intellectuels, gens de la masse… doit chérir au plus profond de lui pour se conformer à l’esprit de cette belle formule qui symbolise l’union, l’entente, l’entraide entre les fils d’un même pays.

Nous pouvons ajouter aussi qu’effectivement la Guinée est une grande famille de par son intense brassage ethnique. Ma génération qui a aussi connu l’époque du président Général Lansana Conté, paix à son âme, a les oreilles pleines de cette formule qu’on ressassait à tout moment pour apaiser les tensions socio-politiques récurrentes de l’époque.

Mais hélas ! durant la dernière décennie, c’est comme si tout le monde s’accordait sur le fait que cette formule n’a plus de sens et qu’elle a perdu son pouvoir « magique » d’antan, et qu’il ne sert plus à rien de la répéter puisque les faits sur le terrain démontrent le contraire, à savoir que chaque ethnie a un intérêt qui diffère de celui de l’autre ethnie, peu importe si nous souffrons tous au même degré du manque de courant électrique avec son lot de délestage quotidien, de la dégradation continue de nos routes au point que même la circulation interurbaine est assimilable à un calvaire redouté de tous, des embouteillages interminables dans la ville de Conakry, de la diminution continue du pouvoir d’achat des Guinéens : plus de 55% des Guinéens vivent au-dessous du seuil de pauvreté en 2019 .

Le plus grave, aujourd’hui, avec l’ère des réseaux sociaux où tout le monde est devenu acteur et spectateur en même temps. Acteur : le pouvoir de publier sur sa page Facebook, par exemple, tout ce qu’on veut. Et spectateur : le pouvoir de voir les publications des autres et même de réagir face à ses publications, est que chacun peut désormais afficher son ethnocentrisme sans vergogne et sans pudeur.

En Guinée, chaque guinéen pourra vous dire qu’il n’est pas du tout ethnocentriste, et pourtant, tout le monde est conscient que c’est l’ethnocentrisme qui est érigé en art de gouvernance. Mais tout le monde fait semblant d’être sourd et aveugle de ne pas voir la réalité en face. Celui qui ose dénoncer cet état de choses est qualifié rapidement de traitre s’il est de l’ethnie du parti qui est au pouvoir ou d’opposant s’il est d’une autre ethnie.

Sans citer de nom, mais un grand responsable n’a-t-il pas dit récemment que les membres de son ethnie qui sont en coalition avec ses adversaires, je le cite : « ils ont préféré faire alliance avec nos ennemis ». Nous pensons que la politique est une bataille d’idées, pas une guerre ! D’ailleurs beaucoup d’anciens opposants notoires sont les grands dignitaires du régime aujourd’hui. Soyons sincères et clairs, notre pays n’a jamais été aussi ethnicisé qu’il l’est aujourd’hui.

Si la classe politique guinéenne excelle dans une chose aujourd’hui, c’est bien dans cette ethnicisation à outrance où toute voix discordante est classée selon son origine ethnique. Chacun est catalogué selon son appartenance ethnique par rapport à son approbation ou sa désapprobation des mesures et des politiques gouvernementales.

Aujourd’hui, il est particulièrement difficile, notamment pour les jeunes intellectuels « patriotes », d’émettre la moindre critique à l’encontre du pouvoir, de peur de compromettre leur carrière ou d’exposer leurs proches ou leurs familles à des pressions psychologiques qu’il est difficile d’affronter dans une Guinée où tout le monde cherche avant tout à survivre. Et pourtant, même une monarchie doit accepter que sa gestion soit sujette à critiques, cela permet d’analyser les critiques et d’en tirer parti pour apporter des solutions pour le bien de tous.

Même pour lire une tribune politique aujourd’hui, la première chose que les lecteurs regardent, c’est le nom de famille de l’auteur avant de porter un jugement sur le contenu de ladite tribune. C’est la raison pour laquelle je précise sans équivoque que je n’ai pas rédigé cet article pour me faire lyncher, ni pour chercher une notoriété quelconque. Je l’ai écrit en tant que jeune intellectuel qui n’est membre d’aucun parti politique, même si les lois de mon pays me donne le plein droit d’appartenir à un parti politique de mon choix, de de m’exprimer librement dans le cadre du respect strict des lois.

J’ai écrit cet article pour alerter sur un mal qui nous ronge tous, surtout les jeunes dont la vocation, en tout cas pour la majorité, est de ne pas suivre le chemin de nos devanciers qui nous ont laissé une Guinée appauvrie, une Guinée où les opportunités sont rares, car comme l’a dit Victor Hugo dans Les Misérables : « la jeunesse, même dans ses chagrins, a toujours une clarté à elle ». Ayons donc cette clarté d’esprit de jeunesse pour ne pas suivre les pas de nos ainés qui utilisent honteusement les jeunes dans leurs querelles politiques ! Refusons-les avec force parce que, comme on dit souvent, les hommes passent mais la patrie reste, et vous êtes la relève. Tout jeune qui se sera fait le fusil d’un quelconque politique aujourd’hui, sera le premier fusible demain quand son protecteur ne sera plus là !

Thierno Youla SYLLA

Chercheur à Paris III 

 

 

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