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Une condamnation de Beny Steinmetz «serait un signal fort contre la corruption»

C’est un procès très attendu par tous ceux qui luttent contre la corruption internationale. Dans quelques mois, on l’a appris le 11 août, Beny Steinmetz, milliardaire franco-israélien, sera jugé à Genève pour corruption présumée dans la concession du gisement de fer de Simandou. C’était il y a dix ans en République de Guinée. L’un des avocats de la défense annonce déjà qu’il plaidera l’acquittement. Le dossier du procureur suisse est-il vraiment solide ? L’ONG suisse Public Eye enquête depuis six ans sur cette affaire. En ligne de Lausanne : sa responsable médias, Géraldine Viret.

RFI : Le procès à venir du milliardaire Beny Steinmetz à Genève, c’est une surprise pour vous ?

Géraldine Viret : Pour nous, ce n’est pas une surprise, mais c’est en tout cas une excellente nouvelle. Nous sommes heureux de constater que le pouvoir judiciaire genevois ne s’est pas laissé aveugler par l’accord problématique conclu il y a quelques mois entre le milliardaire et le gouvernement guinéen. Cet accord a conduit à l’abandon des poursuites pour corruption intentées par la Guinée contre Beny Steinmetz et son groupe. Pour nous, une condamnation de M. Steinmetz et de ses coprévenus en Suisse enverra un signal fort en matière de lutte contre la corruption.

De quoi est-il accusé ?

Steinmetz sera jugé pour « corruption d’agents publics étrangers » et de « faux dans les titres ». La justice genevoise l’accuse, ainsi que deux autres personnes, d’avoir versé ou fait verser des pots-de-vin lors de l’attribution de licences minières en Guinée, entre 2005 et 2010. On parle de 10 millions de dollars de pots-de-vin, dont 1,5 million aurait été versés à l’une des épouses de l’ancien président guinéen pour ses bons offices auprès de son mari. Le but : évincer un concurrent [Rio Tinto] et faire accorder au BSGR des concessions minières dans la région du Simandou.

BSGR, c’est Beny Steinmetz Group Ressources, le groupe de Beny Steinmetz?

Oui, tout à fait.

Cette enquête a mobilisé pendant plusieurs années les polices et la justice de plusieurs continents…

Oui, cette affaire a éclaté en 2013. Cela fait six ans qu’une procédure est ouverte à Genève. Il y a eu également des procédures aux États-Unis et la collaboration entre différents pays, la Guinée, Israël et d’autres encore.

Et l’une des avancées de l’enquête a été, semble-t-il, le témoignage de Mamadie Touré, l’épouse de Lansana Conté, qui a parlé à la justice américaine et qui, comme vous le dîtes, a touché une somme coquette dans cette affaire de pots-de-vin…

Oui, la quatrième femme de l’ancien président a collaboré avec la justice, avec le FBI aux États-Unis. Elle ne sera vraisemblablement pas présente au procès à Genève.

Si Beny Steinmetz est poursuivi par la justice helvétique, c’est parce qu’il a habité à Genève. Est-ce que ce type de procès est habituel dans votre pays ?

Non. Donc, cette affaire elle-même est exemplaire, puisqu’elle montre bien les ravages de l’opacité, lorsque des groupes comme BSGR s’en servent pour réaliser des profits gigantesques sur le dos de pays pauvres. Cela montre aussi la nécessité d’instaurer davantage de transparence dans le secteur des matières premières et les dangers, surtout, liés à l’utilisation abusive de paradis fiscaux pour dissimuler des faits de corruption dans des États fragiles comme la Guinée.

Et justement, pour accroître cette opacité, pour rendre les enquêtes impossibles, le groupe BSGR est accusé d’avoir mis en place un réseau très dense de structures offshore. Qu’est-ce que vous avez fait au niveau de Public Eye ?

En 2013, nous avons cherché à cartographier la nébuleuse BSGR et avons montré comment Beny Steinmetz avait tissé une toile extrêmement complexe, qui alors était dirigée depuis Genève. Cette structure sophistiquée lui a permis de diluer ses responsabilités juridiques et aussi d’optimiser sa fiscalité dans cette affaire.

Le montage était très complexe…

Oui et c’est ce genre de montage qui rend le travail des autorités de poursuites pénales très difficile. Et cela montre bien aussi qu’il faut un vrai effort de transparence. Notamment, il est essentiel d’exiger la publication, par exemple des propriétaires, des ayants-droit économiques réels des sociétés, dans les registres du commerce en Suisse.

Les pots-de-vin passaient par un compte qui était domicilié dans les îles Vierges britanniques…

Oui, tout à fait. Et nous remarquons que, dans toutes les grandes affaires de corruption internationale, on retrouve des comptes bancaires suisses. Même si des progrès ont été faits, au niveau du devoir de diligence, cela reste vraiment insuffisant.

Tout cela vient au départ d’une plainte lancée par la Guinée, sous l’impulsion du président Alpha Condé. Nous sommes dans les années 2010. Et c’est après une commission rogatoire que la justice helvétique se met en branle. Simplement, en février dernier, un accord à l’amiable a été trouvé entre la Guinée, qui portait plainte, et l’accusé Beny Steinmetz…

Oui, tout à fait. C’est un accord qui a conduit à l’abandon des poursuites pour corruption que la Guinée intentait contre Beny Steinmetz et son groupe. En échange de quoi, le groupe Beny Steinmetz a renoncé à ses droits sur les minerais de fer du Simandou. Les deux parties sont maintenant dans une relation apparemment sous de bons jours, de nouveau.

Oui, puisque Beny Steinmetz est autorisé à exploiter d’autres gisements dans d’autres régions de la Guinée Conakry. Cet accord à l’amiable entre le premier plaignant – la Guinée Conakry – et Beny Steinmetz, est-ce que cela n’affaiblit pas l’action de la justice helvétique ?

L’action de la justice peut se faire sans la victime. Ce que l’on peut dire ici, c’est que la vraie victime de toute cette affaire, c’est la population guinéenne qui a perdu de l’argent pour ses caisses publiques. Et le montant était incroyable.

Les seuls pots-de-vins représentaient 10 millions de dollars !…

Oui, et la plus-value enregistrée en 2010 par BSGR, grâce aux droits miniers obtenus sur le gisement du Simandou, est vraiment spectaculaire. Cela représentait, je crois, environ deux fois le budget de l’État guinéen de l’époque. Et pendant ce temps, la population reste prisonnière d’une pauvreté extrême. Ce qui est paradoxal aussi.

L’accord de février dernier, entre les autorités de Conakry et le groupe Beny Steinmetz, aurait été négocié avec le soutien de l’ancien président français Nicolas Sarkozy. Est-ce que cela vous surprend ?

Je n’ai pas de commentaires à faire là-dessus. Cela ne me surprend pas dans le sens où beaucoup de chefs d’État, une fois à la retraite, profitent de leurs relations pour continuer à faire des affaires.

Le procès pourrait avoir lieu d’ici combien de mois ?        

Il n’y a pas de date arrêtée, mais je crois que l’on parle d’un procès en 2020.

L’un des avocats du groupe Beny Steinmetz, l’ancien bâtonnier Jean-Marc Carnicé, a déjà déclaré : « Mon client conteste catégoriquement toutes les charges. Je plaiderai l’acquittement »…

Cela reste à voir, c’est la justice qui déterminera cela. Mais à ma connaissance, je pense que le dossier doit être suffisamment solide pour que le procureur se montre aussi déterminé dans cette affaire.

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