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Tribune. Heur et malheur d’un texte : l’article 51 de la constitution guinéenne de 2010 (Par Pr Togba Zogbélémou)

Inscrit dans le sous-titre I (Président de la République) du titre III de la constitution de 2010 consacré au pouvoir exécutif, l’article 51 est bien la base légale de tout projet de nouvelle constitution que le Président de la République pourrait présenter au peuple de Guinée. Il est différent dans son objet de l’article 84 (droit d’initiative en matière de loi ordinaire ou organique), des articles 93 et suivants relatifs à la cour constitutionnelle dans son organisation, ses attributions, notamment en matière de contrôle de constitutionalité des lois ordinaires ou organiques, des articles 152 à 154 traitant de la révision constitutionnelle.

Sa position dans le texte de la Constitution traduit bien la volonté du constituant d’en faire un texte spécial conférant un pouvoir spécial au Président de la République, un pouvoir cependant encadré dans la forme et le fond. Ceci est important pour l’analyse dans le domaine de la légistique.

Fort malheureusement, l’article 51 est « découvert » dans un contexte politique très agité entre les partisans d’une nouvelle constitution et ceux qui s’y opposent. Un contexte qui a tendance à prendre le dessus sur le débat juridique et à en déterminer l’orientation.

Le droit relevant des sciences sociales, il ne faut pas s’étonner des divergences d’opinions. C’est dans l’ordre normal des choses dans une société qui se veut intellectuelle et démocratique. L’intellectuel est un laboratoire d’idées pour toute personne qui cherche à savoir.

Dans notre cas, il s’agit de ce qu’on appelle un débat doctrinal. Or, contrairement à ce que prétendent certains, la doctrine n’est qu’une source subsidiaire du droit, c’est dire qu’elle ne peut qu’inspirer le législateur ou le juge, elle ne produit pas en elle-même des effets juridiques obligatoires ; ces opinions ne sont pas des éléments de droit positif de source nationale.

Dès lors, le fait que le lexique des termes juridiques (2017-2018 page 871) définisse l’expression « projet de loi » par la formule « texte d’initiative gouvernementale soumis au vote du parlement » ne lui fait pas produire des effets juridiques, surtout que la définition évoque un projet de loi à soumettre au parlement alors que dans l’article 51 de la constitution, il s’agit d’un projet de loi constitutionnelle à soumettre au référendum, donc à faire adopter par le peuple. Il en va de même de l’expression « proposition de loi » (page 873 du lexique précité).

Le débat doit être conduit sans a priori politique : on ne peut faire une analyse juridique sérieuse à partir d’un positionnement ou d’un objectif politique. Car, il faut éviter de confondre l’analyse juridique et ses conséquences qui peuvent être politiques, économiques ou sociales. Il ne faut pas biaiser le débat.

 

Et dans ce débat, l’élégance de la démarche doit être de mise : le texte du contradicteur doit répondre à des idées et non à une personne dont on trouve le nom à chaque paragraphe de la réplique, et même, avec une pointe d’ironie, une référence à ses titres universitaires dont il ne s’est jamais prévalu dans le débat. Il faut dépassionner et dépersonnaliser le débat pour habituer les Guinéens à la contradiction dont doit jaillir la lumière qui éclairera chacun de nos concitoyens.

Deux aspects essentiels de l’article 51 intéresse dans le débat actuel : le sens de l’expression « projet de loi » et l’objet et la portée de l’avis de la cour constitutionnelle. Avant de les évoquer, deux observations liminaires s’imposent.

I-Observations liminaires

Elles tiennent au silence de la constitution sur son abrogation par une nouvelle constitution et à l’impossibilité pour le Président de la République de proposer une nouvelle constitution au peuple.

1ère observation       

Selon certains critiques de l’idée d’une nouvelle constitution, la constitution de 2010 est restée muette sur son abrogation par l’adoption d’une autre constitution.

L’argument est manifestement spécieux. Le soutenir, c’est ignorer que les constitutions ne prévoient généralement que leur révision, c’est-à-dire la modification de certaines dispositions constitutionnelles (ce que la constitution de 2010 a fait en ses articles 152 à 154), et que l’élaboration d’une nouvelle constitution est essentiellement contingente, dépendante qu’elle est de circonstances propres à chaque Etat.

Par ailleurs, l’argument est contestable : on ne peut condamner un peuple à ne pas changer de constitution car le peuple, détenteur du pouvoir constituant originaire, est souverain.

C’est ce qu’affirme avec force l’article 2 alinéa 1er de la constitution de 2010 : « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants élus ou par voie de référendum ».

Le professeur Olivier Ohin ne dit pas autre chose quand il écrit : « le pouvoir de constitutionalisation appartient exclusivement au peuple de l’Etat en formation ou formé qui l’exerce par la voix de ses représentants, à moins qu’il doive ou qu’il puisse l’exercer par voie référendaire » (cf. droit constitutionnel, 1ere édition 2010, page 139).

Le principe de la souveraineté du peuple en matière constitutionnelle était déjà consacré à l’article 1er du titre 7 de la constitution française de 1791 : « la Nation a le droit imprescriptible de changer sa constitution ».

A l’article 28 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 annexée à la constitution française de 1793, on pouvait aussi lire :

« Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.

« Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution »

Jean Jacques Rousseau opinait dans le même sens : « un peuple est toujours maître de changer ses lois, même les meilleures ».

La sacralité de la souveraineté du peuple est telle que dès 1962, le conseil constitutionnel français s’est déclaré incompétent pour se prononcer sur la régularité d’une loi adoptée directement par le peuple. Car, le pouvoir constituant originaire est de fait alors que le pouvoir constituant dérivé (en l’espèce l’Assemblée nationale) institué par la constitution est un pouvoir de droit (cf Olivier Ohin, op. cit. pages 140 et 141).

Pour reprendre l’expression du professeur Jean Gicquel, une constitution a une vie biologique : elle nait, se développe et meurt.

2nde Observation :   

Dans les multiples contributions produites à la faveur du débat actuel sur une nouvelle constitution, certains contributaires font grief au Président de la République de son défaut de qualité à proposer une nouvelle constitution au peuple de Guinée.

C’est à croire qu’il faut toujours une crise (guerre civile, conflit post- électoral, rébellion, coup d’Etat militaire…) pour avoir droit à une nouvelle constitution.

Les conditions d’élaboration des constitutions guinéennes de 1990 et de 2010 ne doivent pas faire oublier que l’adaptation du régime constitutionnel à l’évolution politique du pays ou le changement de l’ordre social (révolution) peuvent conduire à l’élaboration d’une nouvelle constitution.

La constitution guinéenne de 1982 a été la consécration juridique du système politique en vigueur à l’époque (le Parti-Etat) et qui était en déphasage total avec la constitution de 1958.

Le Maroc en 2011, la Côte d’Ivoire en 2016 et le Tchad en 2018, pour ne citer que des cas récents, se sont dotés une nouvelle constitution alors qu’il n’y avait aucune crise politique de nature à mettre en cause les institutions étatiques.

Replacée dans ce contexte, l’idée selon laquelle le Président de la République ne peut, dans le cadre de la constitution de 2010, proposer une nouvelle constitution au peuple, parait insoutenable.

La constitution détermine le statut de l’Etat. C’est ce qu’affirme clairement le Professeur Olivier Ohin : « en droit constitutionnel, l’emploi du terme constitution vient définir le statut d’entité politique dont elle organise au moins les pouvoirs publics, que cette entité politique soit un Etat souverain, unitaire ou fédéral, mais aussi la composante fédérée, dépourvue de souveraineté, d’un Etat fédéral».

Et puisque l’Etat existe, selon la théorie socio-historique, avec la dissociation dans une société donnée entre les gouvernants et les gouvernés (cf. l’ouvrage de droit constitutionnel et science politique du Professeur Bernard Chantebout), la question de celui qui a le pouvoir de proposer une nouvelle constitution revient à celle du détenteur effectif du pouvoir d’Etat.

Ainsi, que l’on soit dans un nouvel Etat naissant, dans un Etat en crise sans constitution formelle ou dans un Etat normal manifestant le besoin d’adapter son régime constitutionnel à son évolution politique, seul le détenteur effectif du pouvoir d’Etat a qualité pour proposer une nouvelle constitution. C’est à ce titre que l’alinéa 2 de l’article 51 dispose que, même lorsque l’initiative du référendum constitutionnel est parlementaire, la présentation de la proposition de loi constitutionnelle est faite par le Président de la République.

En 2010, le détenteur effectif du pouvoir d’Etat en Guinée était le CNDD représenté par le Général Sékouba Konaté. C’est en cette qualité qu’installant le CNT le 13 mars 2010, il a demandé au parlement de la transition de doter le pays d’une nouvelle constitution.

Dès lors si le chef d’un régime militaire d’exception (la constitution de 1990 était suspendue) a pu faire adopter pour les Guinéens la constitution de 2010, le Président de la République institué par cette constitution peut bien, en vertu de l’article 51 de ladite constitution, jouir et exercer la même prérogative constitutionnelle. Et le peuple, sur la base des articles 2 alinéa 1er et 21 alinéa 1er de la constitution, exercerait, dans ce cas, dans un suffrage direct ouvert, son droit sacré de doter ou non l’Etat d’un nouveau statut constitutionnel.

II- Sur le sens de l’expression « projet de loi » de l’article 51 de la constitution de 2010

Aux termes de l’article 51 alinéa 1er de la constitution de 2010, « le Président de la République peut, après avoir consulté le Président de l’Assemblée nationale, soumettre à référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur la promotion et la protection des libertés et des droits fondamentaux, ou l’action économique et sociale de l’Etat, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité ».

Commentant cet alinéa de l’article 51 de la constitution de 2010, certains analystes considèrent que l’expression « projet de loi » est réservée aux lois ordinaires et organiques et que le référendum dont il s’agit, est un référendum législatif et non constitutionnel.

Du coup, ils distinguent là où la loi ne distingue pas entre les lois ordinaires et organiques d’une part, et lois constitutionnelles d’autre part. Or, la constitution n’ayant pas fait cette distinction, seul le sens général prévaut, à savoir que l’expression « projet de loi » concerne aussi bien les lois ordinaires et organiques que les lois constitutionnelles.

Rappelons ce que nous avons déjà donné comme exemples en mai 2019 :

  • loi constitutionnelle n° 2016 – 10 du 5 avril 2016 (révision constitutionnelle au Sénégal, http :// www. Jo.gouv.sn) ;
  • loi n°2016 – 886 du 8 novembre 2016 portant constitution de la République de Côte d’Ivoire ( JORCI n°16 du 19 novembre 2019).

La consécration légale de l’expression « loi constitutionnelle » est fort ancienne. Ainsi la 3ème République française qui n’avait pas de constitution formelle, était régie par trois lois constitutionnelles :

  • la loi constitutionnelle du 16 février 1875 sur les rapports entre les pouvoirs publics ;
  • la loi constitutionnelle du 24 février 1875 sur l’organisation du Sénat ;
  • la loi constitutionnelle du 25 février 1875 sur l’organisation des pouvoirs publics.

Comme indiqué précédemment, et sans préjudice des traités internationaux et des actes juridiques de droit communautaire africain (CEDEAO, OHADA), seule la norme législative et la jurisprudence des tribunaux guinéens constituent le droit positif de source nationale.

Et de ce point de vue, le référendum constitutionnel de l’article 11 de la constitution française de 1958 a bien été utilisé en 1962 pour réviser le mode d’élection du Président de la République, prévu dans la version initiale de la constitution. En dépit de la controverse doctrinale sur le recours audit article, le conseil constitutionnel français n’a pas sanctionné ledit recours, et si le référendum constitutionnel de 1969 a échoué en France, ce n’est pas à cause du recours à l’article 11 mais à cause de l’objet du référendum.

Même François Mitterrand, homme politique et farouche opposant du recours à la pratique de l’article 11 en 1962 et 1969, a fini par l’approuver en 1984, alors qu’il était maintenant Président de la République, en déclarant que « l’usage de l’article 11 établi et approuvé par le peuple, peut désormais être considéré comme l’une des voies de la révision concurremment avec l’article 89 ».

Par ailleurs, le comité consultatif pour la révision de la constitution créé en France en 1992, qui rassemblait les plus éminents constitutionalistes sous la présidence du doyen Georges Vedel, n’a pas fermement condamné le recours à l’article 11 de la constitution française, il a plutôt recommandé l’application de l’article 89 pour la révision constitutionnelle (et non pour l’élaboration d’une nouvelle constitution), sauf en cas de rejet du projet de révision constitutionnelle par l’une des assemblées parlementaires.

Et depuis, contrairement à ce que veulent faire croire certains, il n’y a eu en France aucune décision du conseil constitutionnel contraire à celle de 1962. C’est dire qu’en droit positif français, l’expression « projet de loi » dans l’article 11 concerne aussi les projets de loi constitutionnelle.

Plus près de la Guinée, au Sénégal, saisi par le Président de la République d’une question similaire, le conseil constitutionnel sénégalais a motivé et émis son avis du 9 novembre 2000 en ces termes :

  1. Considérant que, par lettre en date du 3 novembre 2000, le Président de la République, conformément à l’article 46 de la constitution, sollicite l’avis du Conseil constitutionnel sur le projet de loi constitutionnelle devant être soumis au référendum ;
  2. Considérant que l’article 46 de la Constitution dispose : « le Président de la République peut, sur proposition du Premier Ministre et après avoir consulté les Présidents des assemblées et recueilli l’avis du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi au référendum » ;
  3. Considérant que le Président se la République tient de cette disposition constitutionnelle le droit d’initiative au référendum sans distinction entre la matière constitutionnelle et la matière législative ordinaire,

EST D’AVIS :

Que le Président de la République peut, sur proposition du Premier Ministre et après avoir consulté les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, soumettre au référendum le projet de Constitution.

En demandant l’avis du conseil constitutionnel, il ne s’agissait pas pour le Président de la République sénégalaise de se prémunir contre quoi que ce soit, mais d’avoir l’avis éclairé de l’institution constitutionnelle en charge de l’interprétation de la constitution. Et l’avis est clair pour dire que l’expression « projet de loi » de l’article 46 de la constitution sénégalaise de 1963 (similaire à l’article 51 guinéen de 2010) vise à la fois des lois ordinaires, organiques et constitutionnelles et que cet article de la constitution pouvait être appliqué pour l’adoption d’une nouvelle constitution au Sénégal. Notons au passage que l’article 41 de la constitution malienne de 1991 contient aussi l’expression « projet de loi »

Dès lors, si en 2001, à la suite d’une réforme, l’article 46 (devenu l’article 51) distingue dans 2 alinéas les lois constitutionnelles et tout projet de loi, c’est tout simplement pour une raison didactique, pour apporter une clarification sur une question nationale controversée dans l’opinion en dépit de l’avis éclairé du juge constitutionnel. Un avis simple émis qui produit cependant des effets politiques à l’égard du Président de la République sénégalaise qui n’avait aucune obligation juridique de recourir à la consultation du conseil constitutionnel.

Aussi bien en France après la décision du conseil constitutionnel en 1962 qu’au Sénégal après l’avis du conseil constitutionnel en 2000, les débats ont continué : ce qui est tout à fait normal, le fruit de ce dynamisme intellectuel étant de pouvoir nourrir les réformes futures et les revirements jurisprudentiels éventuels.

Mais à date, sur la même question que celle qui se pose aujourd’hui en Guinée, seuls les éléments de jurisprudence ci-dessus évoqués sont parties intégrantes du droit positif en France et au Sénégal.

C’est dans le même sens que l’on peut interpréter certaines constitutions africaines qui emploient d’autres formules :

  • tantôt le terme « texte» (article 60 constitution du Niger de 2010 ; article 75 constitution de la Côte d’Ivoire de 2016) ;
  • tantôt l’expression « toute question d’intérêt national » (article 41 constitution du Mali de 1991, article 75 constitution de la Côte d’Ivoire de 2016) ;
  • tantôt sans référence à un projet de loi ou à tout texte mais plutôt à toute question relative à tel ou tel sujet (article 52 de la constitution du Bénin de 1990).

Quelle que soit la formulation textuelle utilisée l’objet du référendum est toujours exprimé en forme de projet de loi ordinaire, organique ou constitutionnelle.

De ce qui précède, il se dégage que l’expression « projet de loi » de l’article 51 de la constitution de 2010 couvre bien les projets de loi constitutionnelle.

III- Sur l’objet et la portée de l’avis de la cour constitutionnelle

En vertu des alinéas 3, 4 et 5 de l’article 51 de la constitution :

« Avant de convoquer les électeurs par décret, le Président de la République recueille l’avis de la cour constitutionnelle sur la conformité du projet ou de la proposition à la constitution.

En cas de non-conformité, il ne peut être procédé au référendum.

La cour constitutionnelle veille à la régularité des opérations de référendum »

Contrairement à certains écrits, le contrôle de conformité confié à la cour constitutionnelle dans l’article 51 n’est pas un contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires et organiques déjà adoptées par l’Assemblée nationale au sens des articles 80, 83, 93 et suivants de la constitution, contrôle sanctionné par un arrêt de la cour ( article 99 de la constitution) et non par un avis (article 51 alinéa 3 de la constitution) ; il s’agit plutôt d’un contrôle du projet de constitution par rapport aux modalités de forme et de fond définies par l’article 51 de la constitution ayant institué ce type de référendum.

Dans son double aspect formel et matériel, le contrôle de conformité porte sur le respect par le Président de la République des consultations préalables et sur la nature des questions faisant l’objet du référendum constitutionnel. En effet, en application de l’alinéa 1er de l’article 51 précité, le Président de la République doit, avant la saisine de la cour constitutionnelle pour avis, consulter le Président de l’Assemblée nationale ; de plus, le projet de constitution doit porter sur certaines matières énumérées audit alinéa.

Si la consultation du Président de l’Assemblée nationale ne pose aucun problème particulier de vérification de conformité (même si le texte ne le dit pas expressément, cette consultation doit être écrite), en revanche les matières couvertes par le projet de constitution doivent s’inscrire dans la définition de la constitution telle qu’elle est entendue dans les Etats de tradition constitutionnelle française.

Pour cerner cette notion française de constitution, il faut remonter à l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a pas de constitution ».

Deux éléments essentiels composent donc les constitutions de tradition française : la protection des droits humains et la séparation des pouvoirs comme principe d’organisation des pouvoirs publics.

C’est ce que l’on constate dans le monumental ouvrage de droit constitutionnel précité (1497 pages) du professeur Olivier Ohin qui, étudiant la constitution au sens matériel, développe en deux sections l’organisation des pouvoirs publics (page 135) et la garantie des libertés fondamentales (page 137).

Le référendum constitutionnel doit, dans son objet, porter sur l’organisation des pouvoirs publics, la promotion et la protection des libertés et droits fondamentaux. Or, par essence, la constitution au sens matériel, est l’ensemble des règles relatives à la dévolution et à l’exercice du pouvoir politique ; il s’agit donc des règles relatives aux organes de l’Etat, à leur désignation, à leurs attributions et à leur fonctionnement.

D’après le dictionnaire du droit constitutionnel (9ème éd. ; Sirey 2013 page 277), l’expression « pouvoirs publics » est « susceptible de recevoir un sens plus ou moins extensif selon que ne seront considérés que les seuls organes publics constitutionnels, tels qu’ils sont institués par la constitution, ou bien les pouvoirs publics en général, c’est-à-dire l’ensemble des organes qui, au nom d’une collectivité publique, exerce l’autorité en recourant à des prérogatives de puissance publique ».

Il s’agit donc bien en l’espèce des pouvoirs publics constitutionnels et de la garantie des droits et devoirs des citoyens dans le projet de constitution, dont la vérification devra être faite par la cour constitutionnelle.

D’un point de vue procédurale, outre l’avis qu’elle doit émettre, la cour constitutionnelle veille à la régularité des opérations de référendum. Ce qui est une avancée par rapport au Sénégal où les actes préparatoires du référendum (fixation de la date du référendum, convocation du corps électoral, organisation du référendum, publication du projet de loi constitutionnelle) sont considérés comme des actes de gouvernement insusceptibles de recours pour excès de pouvoir, revêtus ainsi d’une immunité juridictionnelle (arrêt n°19 du 17 mars 2016 de la chambre administrative de la cour suprême du Sénégal).

L’avis émis par la cour constitutionnel est un avis conforme : en cas de non-conformité, la procédure tendant à l’organisation du référendum est arrêtée.

L’article 51 de la constitution ayant qualifié l’avis de conforme, il produit le même effet qu’un arrêt de la cour constitutionnelle (article 99 de la constitution). La disposition qui pourrait s’expliquer par le caractère spécial du pouvoir conféré en ce domaine au Président de la République par la constitution (laquelle a tenu à en encadrer l’exercice), renforce l’autorité de la cour constitutionnelle dans sa mission de gardienne de la constitution, norme suprême de l’Etat, la loi des lois tant qu’elle est en vigueur. L’effet exécutoire de l’avis contribue ainsi à limiter les risques d’un usage abusif de l’article 51 de la constitution.

En définitive, des analyses ci-dessus, il se dégage avec netteté que le Président de la République a qualité pour proposer une nouvelle constitution au peuple de Guinée dans les conditions strictes définies par l’article 51 de la constitution de 2010, sous le contrôle de la cour constitutionnelle.

Penser que le fait pour un juriste de le dire est un soutien à une candidature du Président en fonction à un 3ème mandat politique (ce qui implique le franchissement d’étapes juridiques et politiques), c’est confondre délibérément l’analyse juridique et ses conséquences éventuelles.

Par rigueur intellectuelle et par expérience professionnelle, nous souscrivons à cette démarche qui consiste à bien circonscrire le débat dans son cadre juridique pour plus de clarté et de compréhension, libre à chacun de manifester son opinion politique.

Le plus important dans ce débat doctrinal, ce n’est pas d’affirmer ce qui plaît aux Alanmanin ou aux Amoulanfé, mais de dire ce qui est permis ou pas en droit pur.

C’est de cette manière que le débat actuel contribuera à édifier les nouvelles générations de juristes guinéens, à instaurer le débat d’idées et la tolérance entre les Guinéens.

 

Togba Zogbélémou

 

 Professeur d’université

 

 Avocat au Barreau de Guinée

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