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Révision constitutionnelle en Guinée : le tabou à plusieurs interrogations

Depuis quelques jours, le débat autour d’une éventuelle modification de la Constitution est posé en Guinée. De l’avis des opposants et de la société civile, une telle aventure ne peut et ne doit voir le jour. 

Mais de l’avis de certains acteurs de la mouvance présidentielle, “une nouvelle constitution peut être proposée par l’Exécutif. Si elle est approuvée par la majorité simple seulement à l’Assemblée, il faut un référendum. Si elle est approuvée par la majorité qualifiée des 2/3 on n’a pas besoin de référendum. Alors si tel est le cas, nous ne serons plus dans la troisième république. Nous serons dans la 4ème République. Tout mandat à la suite de la promulgation ou de l’approbation d’une nouvelle Constitution est le premier mandat de cette République’’, a rappelé l’honorable Amadou Damaro Camara, président du groupe parlementaire de la mouvance.

Il se trouve que depuis 2010, tous les débats ont été posés sauf celui des circonstances dans lesquelles la Constitution actuelle a été élaborée, votée et promulguée. Tout le monde vous dira que la constitution guinéenne ne peut être taxée d’illégitime parce qu’elle a servi à l’élection en 2010 et la réélection en 2015 du Professeur Alpha Condé, mais trois aspects fondamentaux attirent notre attention et méritent de susciter réflexion, en attendant que nos juristes constitutionnalistes tranchent définitivement sur la question.

Il est important dans un premier temps de rappeler que la constitution de 2002 a été suspendue suite au coup d’État qui a conduit le Président Moussa Dadis Camara au pouvoir.

L’Article 152 de la constitution de 2010 dispose que « l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés ». Mais dans le contexte de la révision constitutionnelle de 2010 (sans vouloir occulter les circonstances dans lesquelles le pays se trouvait) on est porté à émettre quelques interrogations sur le mode de révision, vote et promulgation de la constitution actuellement en vigueur.

La Constitution a été rédigée par un CNT (Conseil national de la transition dont les membres ont été choisis sur le volet selon les rapports de force du moment), et non par une Assemblée Nationale dont les députés émanent de la volonté populaire. Aucun baromètre et aucune élection n’a déterminé le poids représentatif des différents membres de ce CNT et prouver ainsi qu’ils  avaient les qualités nécessaires pour représenter le peuple de Guinée.

Elle a été promulguée par un président de transition désigné sur la base d’un accord politique sur lequel le peuple ne s’est jamais prononcé de manière souveraine. Elle n’est pas passée au referendum pour obtenir l’onction populaire pour sa légitimation, comme cela se fait dans tous les systèmes démocratiques modernes.

Il est vrai que la Constitution peut être adoptée par voie parlementaire avec le vote des 2/3 du « parlement ». L’expression parlement renvoie cependant à une assemblée de députés élus par le peuple. Ce qui n’était pas le cas du CNT.

La méthode d’élaboration de la Constitution par une Assemblée constituante est certes plus rapide, mais elle souffre cependant de légitimité. Les propositions de cette assemblée constituante sont la plupart du temps soumises à l’approbation du peuple par la voie du référendum, afin de donner au texte constitutionnel son caractère de norme fondamentale.

 

Pourquoi ne pas avoir soumis cette constitution de 2010 au referendum bien avant d’organiser des élections présidentielles  et législatives ? Le CNT qui l’a votée avait-t-il la légitimité nécessaire au vote d’un texte aussi fondamental que la Constitution ? Ou à défaut, ne devrait-elle elle pas être soumise à referendum après son vote par le CNT.

L’Article 157 de la Constitution actuelle dispose certes que “le Conseil national de la transition  assumera toutes les fonctions législatives définies par la présente Constitution jusqu’à l’installation de l’Assemblée nationale”. Mais si l’on se base sur le principe de non rétroactivité de la loi (celui-là même qui pourrait effacer les anciens mandats si une nouvelle Constitution était élaborée et votée), le droit de légiférer accordé au CNT ne concerne que les lois votées à la suite de la promulgation de la Constitution. Autrement dit, tout autre acte législatif opéré par le CNT avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution ne peut être protégé par cette dernière.

L’autre aspect qui est occulté par ceux qui redoutent une éventuelle révision constitutionnelle, c’est le verrou de l’article 27 de la présente constitution. En effet, l’Article 27 dispose de ce qui suit : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois.  En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non. »

Il faut cependant préciser que ce verrou ne s’applique que sous la même constitution. Autrement dit, si une nouvelle constitution est adoptée, c’est la nouvelle République qui est déclarée (dans le cas de la Guinée, ce sera la 4ème République) et chaque nouvelle République remet tous les compteurs mandats à zéro.

Tout mandat qui viendra immédiatement après la nouvelle constitution sera considéré comme le premier mandat de cette éventuelle 4ème République. Le verrou de l’article 27 ne peut ainsi devenir un handicap à la révision constitutionnelle que lorsque l’initiateur de la révision veut par exemple et uniquement porter le nombre de mandat à trois ou la durée de celui-ci à sept ans, sous forme de simple révision constitutionnelle sans pour autant rédiger une nouvelle Constitution.

Un autre handicap de la Constitution de 2010 est exposé par l’alinéa 2 de son article 156 qui dispose de ce qui suit : « Le président de la République par intérim assumant la transition ne peut, en aucune façon et sous quelque forme que ce soit, modifier la Constitution, le Code électoral, la loi relative aux partis politiques et la loi fixant le régime des associations et de la presse. »

De plus, l’Article 35 de la constitution de 2002 dispose que “la suppléance du président de la République s’étend à toutes les fonctions de celui-ci, sauf le droit de recourir au référendum, de prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale, de prendre l’initiative d’une révision de la loi fondamentale, d’exercer le droit de grâce”.

C’est pourtant le régime militaire de Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté qui a suspendu cette constitution, dissous l’Assemblée nationale et procéder à l’élaboration de la nouvelle Constitution. D’où tirait-il sa légitimité au point de promulguer la loi fondamentale de la République ?

Il est temps que les juristes s’emparent de ce débat, que la question sorte des quartiers généraux des partis politiques et se retrouve dans les universités à la portée des spécialistes, qu’elle cesse d’être taboue car il s’agit de la mère des lois de notre pays. Le guinéen moyen que je suis se pose plusieurs interrogations et mérite d’en savoir plus afin de choisir, le moment venu, le camp qu’il souhaite défendre, sans passion, sans démagogie.

 

Emmanuel MILLIMONO

Journaliste

Analyste

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