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Lutte contre le COVID-19 : un président désorienté par un gouvernement qui ignore la réalité des guinéens

Tribune. En Guinée, gérer la pandémie mondiale de la COVID-19 ne sera pas une chose facile, pour ne pas impossible pour un gouvernement mal en point et qui commence déjà à en appeler à bonne volonté des partenaires extérieurs.

Dans son adresse aux populations guinéennes, le président Alpha Condé s’est contenté de rappeler des lieux communs (respecter les mesures sanitaires de bases et encourager la distanciation sociale) et d’insister sur des mesures coercitives nécessaires à l’application des mesures de confinement envisagées.

Il semble que le gouvernement suit à l’aveugle des dispositions prises à travers le monde, sans prendre en considération les pesanteurs culturelles et sociales économiques qui rendent presqu’impossible l’application, en Guinée, des mesures de confinements en vigueur ailleurs dans les pays développés.

Lavez-vous les mains. Bien. Mais, dans beaucoup de quartiers de Conakry, les populations sont confrontées à un besoin criant d’eau. Et on a de bonnes raisons de douter de la qualité de l’eau dans un pays où le traitement de l’eau ne se fait pas selon les normes appropriées.

Interdiction de rassemblement au-delà de vingt personnes. Parfait. Alors, comment faire avec les habitations communes, où vit une part importante de la population, et à l’intérieur desquelles tout est commun, même les toilettes. Plus importants encore, les marchés publics, Madina par exemple, peuvent-ils être soumis à un confinement sans plonger des milliers de citoyens dans une misère avec laquelle déjà ils se battent au quotidien.

Pour une population abandonnée à elle-même, dans un pays qui se distingue par l’inexistence de filets sociaux et par l’exploitation à des fins personnelles et politiques des revenus issus des matières premières, il est possible de dire que les mesures de confinement risqueraient d’accentuer la pauvreté et donc devenir un carburant de plus pour la violence.

Le discours du président donne l’impression qu’il s’est adressé à une population dont il ignore les réalités. C’est que la Guinée d’Alpha Condé et de son gouvernement ce n’est pas la Guinée dans laquelle vit la population, à l’endroit de laquelle « l’État » n’assume aucune responsabilité sociale. Et c’est parce que la Guinée des officiels ne correspond pas à la Guinée réelle que les mesures pour contrer la COVID-19, proposées par le président, n’incluent aucune mesure concrète d’accompagnement financière. Le président évoque vaguement un plan à venir pour relancer l’économie et soutenir le secteur privé.

Quant à la population, qui attend toujours de bénéficier du « bon » fonctionnement de l’économie guinéenne, elle pourra s’en remettre à Dieu ! Dans tous les cas, il sera difficile pour un gouvernement qui sort d’une campagne électorale coûteuse de prétexter l’éternelle difficulté financière de l’État. Mieux, pour un pays qui a vu ses revenus miniers augmenter de 46 % et sa production de la bauxite suivre une dynamique exponentielle de 70 millions en 2019, il deviendra injustifiable d’en appeler exclusivement à l’aide extérieure pour faire face à cette crise sanitaire, comme ce fut le cas dans la lutte contre l’épidémie du virus Ebola.

Les populations guinéennes s’attendent donc à ce que les mesures de confinement ne se réduisent pas à un dispositif coercitif, mais que le gouvernement s’explique sur les stratégies qu’il mettra en place pour venir en aide aux personnes qui seront considérablement affectées par les restrictions imposées pour lutter contre la COVID-19.

Face à cette de crise sanitaire, qui vient s’ajouter à une crise politique qui embrase le pays depuis des mois, on peut constater que le président et son gouvernement sont totalement désorientés. À la limite, ils semblent être dépassés par une double crise qu’ils ne peuvent gérer visiblement que par « des dispositions disciplinaires », autrement dit par la force. Or, en ce qui a trait à l’usage de la force, le gouvernement a déjà fait ses preuves : abus, domination et brutalité sont le quotidien de ceux qui ne bénéficient pas de la proximité du pouvoir.

Désormais, c’est sur le terrain de la justice sociale et de l’égalité politique que la population guinéenne aimerait être convaincue. Surtout que la reconnaissance à l’égard du président vient d’être renforcée par les résultats préliminaires du référendum qui donnent au camp du oui 91,59 % ! Un score qui dépasserait les attentes même…d’un régime soviétique.

Amadou Sadjo BARRY
Professeur de philosophie
Cégep de St-hyacinhte
Québec, Canada

 

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