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Le coup d’Etat au Mali doit-il nous faire craindre une résurgence des coups d’Etat en Afrique de l’Ouest ?

Soixante ans après les indépendances dans les pays de l’ancienne Afrique Occidentale Française (AOF), le bilan en matière de consolidation de la démocratie et de la bonne gouvernance reste plus que mitigé.

Ces pays qui, pour la plupart, ont connu des régimes totalitaires au lendemain des indépendances, n’ont malheureusement pas réussi leur mutation vers des régimes plus démocratiques et davantage respectueux des droits et des libertés.

En effet, le vent de la démocratie qui a soufflé dans ces pays au début des années 1990, suite au discours du Président François Mitterrand à la Baule en France, a ouvert l’ère du multipartisme. Cette période a été marquée, certes, par la mise en place d’Institutions aux aspects démocratiques et susceptibles de garantir l’équilibre des pouvoirs mais surtout par la perpétuation de mauvaises pratiques dans la gestion de l’Etat. L’avènement  du multipartisme a entrainé surtout des élections truquées et la pérennisation des régimes sans légitimité, ce qui a entrainé des séries de contestations populaires.

Les aspirations populaires à plus de démocratie, de justice sociale et de libertés ont rendu de plus en plus nécessaires l’alternance dans nos pays et une meilleure gouvernance afin de mieux répondre à ces aspirations. Malheureusement, ces pays qui se sont inspirés de la constitution française de 1958, ont mis en place des régimes « ultra-présidentiels » et ont vu émerger des hommes au sommet de l’Etat qui ont réuni l’ensemble des pouvoirs entre leurs mains.

Ces régimes autocratiques sont caractérisés par les mêmes faiblesses, à savoir : la volonté de confisquer le pouvoir, les injustices sociales, une gouvernance clanique, la corruption et la centralisation  des pouvoirs. Ce sont ces faiblesses qui entrainent généralement des coups d’Etat.

La mauvaise gouvernance, cause des coups d’Etat ?

Dans un Etat qui fonctionne normalement, le rôle majeur et incontournable de l’Etat est d’édicter des règles et de veiller à leur respect. La démission ou l’échec de l’Etat par rapport à cette mission crée généralement des situations peu pérennes et qui aboutissent très souvent par des coups d’Etat militaires.

En effet, les injustices sociales qui résultent de la manière dont nos pays sont gérés engendrent des situations d’inégalités, notamment, par rapport à la santé, au logement, à l’éducation et à l’emploi. Ces effets désastreux de la mauvaise gouvernance sur la vie des populations offrent souvent l’opportunité à l’armée de s’immiscer dans la vie politique.

Les systèmes de santé dans la sous-région sont extrêmement fragiles.  Dans la quasi-totalité des pays de l’Afrique de l’Ouest, les hôpitaux avec une faible capacité d’accueil, sont sous équipés avec un manque de personnel rendant la prise en charge des malades tributaire de leur capacité de financement. L’absence de couverture médicale universelle empêche de facto la majorité des populations d’accéder aux soins, même primaires. Le manque de politique publique basée sur une vision claire permettant de rendre effectif le droit à la santé exacerbe les inégalités et prive nos pays d’énergies positives et d’une force de travail qui auraient pu soutenir de manière durable le développement économique dans nos différents pays.

Ces effets désastreux de la mauvaise gouvernance sur la vie des populations offrent souvent l’opportunité à l’armée de s’immiscer dans la vie politique.

On peut légitimement se poser la question de savoir quelle peut-être l’utilité d’une jeunesse non formée et qui se retrouve au chômage ? C’est sans doute le plus lourd héritage que s’apprêtent à laisser aux générations futures nos dirigeants actuels. L’éducation est certainement la clé de voute du développement et le premier défi à relever dans nos pays. Malheureusement, cette priorité majeure ne semble pas figurer en bonne place dans l’échelle des préoccupations de nos dirigeants.

L’éducation et les injustices sociales qui sont intimement liées sont les deux plus grands défis à relever pour les dirigeants de la sous-région dans les prochaines années. L’éducation qui est la meilleure garantie de l’insertion sociale, doit non seulement permettre au plus grand nombre de se former mais aussi de répondre aux attentes du marché de l’emploi tout en ayant une dimension sociale et citoyenne afin de renforcer l’esprit de solidarité et la cohésion sociale.

Une véritable réforme de nos systèmes éducatifs s’imposent pour en faire de véritables instruments de lutte contre les injustices. À défaut, nous risquons de fragiliser davantage le tissu social en aggravant les inégalités et les frustrations qui constituent le ferment de la déstabilisation des régimes politiques en Afrique de l’Ouest.

Pour réduire les inégalités, nous devrions inciter davantage l’entreprise sociale. Une véritable réforme de nos systèmes éducatifs s’imposent pour en faire de véritables instruments de lutte contre les injustices. À défaut, nous risquons de fragiliser davantage le tissu social en aggravant les inégalités et les frustrations qui constituent le ferment de la déstabilisation des régimes politiques en Afrique de l’Ouest.

Le règne de l’argent dans l’administration ainsi que dans tous les secteurs de la vie publique a non seulement ruiné les chances d’une mise en œuvre effective des projets au niveau de l’administration mais a freiné considérablement les investissements privés qui soutiennent le développement du secteur privé et favorisent la création d’emplois.  Le développement de la corruption a creusé les inégalités en créant dans les pays de la sous-région des « sociétés à deux vitesses » avec deux groupes de citoyens.

La première catégorie de citoyens est composée de citoyens privilégiés qui disposent des ressources de l’état et qui ont accès à tout et, la seconde catégorie, nettement plus importante, est celle composée de citoyens qui n’ont accès à rien et qui sont assujettis à la volonté pour ne pas dire aux caprices de la première. La corruption est la principale cause de l’affaiblissement des Etats dans la sous-région.

L’alternance est souvent la voie porteuse d’espoir. C’est précisément cette alternance que la confiscation du pouvoir par les autocrates de la sous-région empêche, d’où l’irruption de l’armée sur la scène politique.

Généralement, les privilèges sont réservés à des personnes d’un clan qu’on peut assimiler facilement à la communauté du Président, issues ou non du même parti politique.

Ce sont ces dysfonctionnements, et bien d’autres, qui alimentent la crise de confiance entre la classe dirigeante et la population tout en attisant des tensions sociales dont la résolution nécessite une remise en cause totale des habitudes de nos dirigeants. À cet égard, l’alternance est souvent la voie porteuse d’espoir. C’est précisément cette alternance que la confiscation du pouvoir par les autocrates de la sous-région empêche, d’où l’irruption de l’armée sur la scène politique.

La manière la plus sûre, et je dirai même la seule susceptible de transformer en profondeur les sociétés ouest africaines, est de faire en sorte que les pays soient dotés d’institutions solides, républicaines et capables de répondre aux attentes des populations. À cette fin, les coups d’Etat militaires peuvent-ils être la solution ?

Le cas malien peut-il être le point de départ du renouveau démocratique dans la sous-région ?

Le principal enjeu pour nos dirigeants étant désormais leur maintien au pouvoir en dépit de la volonté de changement exprimée par les populations soit directement dans les urnes, soit par des manifestations de rues, plusieurs pays de la sous sont aujourd’hui plongés dans une crise profonde. Cette crise qui est souvent caractérisée par un manque de dialogue, se traduit par une situation de blocage qui, dans le cas malien, a entrainé l’intervention de l’armée. Il faut reconnaître qu’une telle situation est toujours déplorable dans la mesure où elle arrête le processus démocratique et fragilise les fondements de l’Etat. Mais, si nous nous en tenons au discours des putschistes au Mali, il est permis d’espérer que la transition qui s’ouvre dans ce pays pourrait connaître une issue heureuse pour les maliens.

Cette crise qui est souvent caractérisée par un manque de dialogue, se traduit par une situation de blocage qui, dans le cas malien, a entrainé l’intervention de l’armée.

En effet, le Mali qui est un pays confronté au terrorisme, est dans une situation assez difficile avec un Etat déliquescent et une corruption généralisée. C’est pourquoi le cas malien devrait conduire à une réflexion plus profonde afin de sortir des sentiers battus et éviter de résumer les problèmes du Mali à la tenue de simples élections. Ceci est d’autant plus vrai que le Président IBK dont le régime a été renversé par les militaires a été élu et réélu sans pour autant avoir une gestion vertueuse.

Tout l’enjeu pour le peuple Malien est la mise en place d’un système qui permettrait de répondre à ses préoccupations à la fois sécuritaire, économique et social. Le Mali est aujourd’hui considéré comme étant l’épicentre du terrorisme au Sahel. C’est pourquoi, les déclarations des putschistes qui ont rassuré quant à leur volonté de respecter les engagements internationaux et d’assurer ainsi une certaine continuité de l’État méritent d’être encouragées. Cette stabilité vise à rassurer la communauté internationale et surtout à faciliter la gestion de la crise sécuritaire face à des terroristes qui gagnent du terrain en jouant, notamment, sur des divisions à caractère communautaire.

Dans la situation de crise sécuritaire où il se trouve, le Mali peut-il se permettre de rester dans une longue transition pour engager des réformes dont le pays a besoin ou alors cette situation devrait-elle plutôt rendre impérative une courte transition afin de procéder rapidement à des élections et doter le pays d’un gouvernement définitif ?  Telle est la question qui se pose dans le cas malien et qui oppose la CEDEAO aux putschistes maliens. De la réponse à cette question dépendra la réussite ou pas de la transition qui vient de s’ouvrir au Mali.

Dans la situation de crise sécuritaire où il se trouve, le Mali peut-il se permettre de rester dans une longue transition pour engager des réformes dont le pays a besoin ou alors cette situation devrait-elle plutôt rendre impérative une courte transition afin de procéder rapidement à des élections et doter le pays d’un gouvernement définitif ?

Il convient de rappeler que la chute du régime d’IBK a été initiée par le M5-RFP qui réunit en son sein des acteurs politiques et de la société civile. Ce mouvement a organisé des manifestations de rues qui ont finalement abouti au coup d’Etat militaire. Partant, toute transition réussie devrait impérativement associer les acteurs de ce mouvement et procéder à une large concertation avant la définition de la feuille de route de la transition.  Pour qu’elle puisse réussir, il me parait important que la transition malienne soit en mesure de régler certains problèmes de fond tels que la réforme de l’administration, la mise en place d’institutions fiables et solides, la réforme des forces armées et la lutte contre la corruption.

La transmission du pouvoir à un régime civil devrait se faire dans le cadre d’élections libres équitables et transparentes de manière à garantir la paix sociale. La libération du Chef de fil de l’opposition enlevé par des hommes armés en pleine campagne électorale est un élément de nature à crédibiliser la prochaine élection électorale. Ainsi, la période de transition serait mise à profit pour jeter les bases d’un Etat fort, résilient et capable de relever les défis auxquels sont confrontés les maliens.

La transmission du pouvoir à un régime civil devrait se faire dans le cadre d’élections libres équitables et transparentes de manière à garantir la paix sociale.

La question de savoir si la transition serait dirigée par un civil ou un militaire me parait secondaire et devrait être réglée par les acteurs sociopolitiques du Mali en définissant de manière consensuelle une feuille de route de la transition. En tant qu’institution sous régionale, la CDEAO devrait favoriser le dialogue et le respect des textes plutôt que d’imposer un schéma de sortie de crise aux maliens.

La CEDEAO dans la gestion de crise, quelle efficacité ?

La multiplication des crises sociopolitiques en Afrique de l’Ouest interpelle forcément la CEDEAO et amène chacun à s’interroger sur le rôle et l’efficacité de l’institution sous régionale dans la gestion des crises.  Créée à l’origine pour favoriser le développement et l’intégration économique dans la sous-région, la CEDEAO a étendu ses compétences à l’amélioration de la bonne gouvernance et de la démocratie dans la sous-région.

À cet égard, elle s’est dotée d’une charte sur la bonne gouvernance et la démocratie dans les pays membres de la CEDEAO. En plus de ce texte majeur, il existe également une juridiction de la CEDEAO, la Cour de Justice de la CEDEAO devant laquelle les Etats sont justiciables. Cette architecture juridique et institutionnelle fait de la CEDEAO une institution outillée pour agir dans le sens du renforcement de la démocratie.

La crise guinéenne a mis à rude épreuve la capacité de l’institution sous régionale à résoudre des crises politiques au vu du protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance. En effet, depuis environ deux ans, le Président Alpha Condé s’est lancé dans un projet de troisième mandat en violation des textes et en sabordant les institutions. Les manifestations organisées par le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) ont été réprimées dans le sang. Plus de 150 personnes tuées, des manifestants enlevés et arbitrairement détenus sans aucun jugement etc.

La crise guinéenne a mis à rude épreuve la capacité de l’institution sous régionale à résoudre des crises politiques au vu du protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance.

Engagé dans une démarche irréversible, Alpha Condé a organisé son double scrutin le 22 mars 2020 dans des conditions très contestables. Ce n’est que par la suite que la Guinée est réellement devenue la risée du monde en découvrant la falsification de la Constitution. L’histoire de la falsification dépasse l’entendement. En effet, c’est seulement après la publication et la promulgation de la fameuse nouvelle constitution que l’on a constaté des modifications majeures, au niveau d’une vingtaine d’articles, entre la constitution soumise à référendum et celle publiée le 6 avril 2020 dans le journal officiel et promulguée par la suite.

Le protocole additionnel pour la démocratie et la bonne gouvernance interdit à toute personne qui modifie la constitution de son pays pour être candidat ou qui a pris le pouvoir suite à un coup d’Etat militaire de se présenter comme candidat à une élection présidentielle.

Du point de vue juridique, il va de soi qu’une telle violation de procédure rend impossible l’entrée en vigueur de l’un de deux textes constitutionnels. En dépit de cette violation flagrante des règles élémentaires de droit et de nombreuses saisines des autorités de la CEDEAO,  force est de constater qu’aucune action courageuse ou décisive n’a été entreprise par elles. Pourtant, le protocole additionnel pour la démocratie et la bonne gouvernance interdit à toute personne qui modifie la constitution de son pays pour être candidat ou qui a pris le pouvoir suite à un coup d’Etat militaire de se présenter comme candidat à une élection présidentielle.

Cette interdiction est prévue au point c) de l’article 1 de la section1 qui traite « Des principes de convergence constitutionnelle ». En effet, le point c) de l’article 1 dispose que : « Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. »

La manière dont la CEDEAO gère les crises actuelles dans la sous-région, met en exergue le fossé qui se creuse entre les Chefs d’Etat qui sont perçus en Afrique de l’Ouest comme un syndicat, et les populations dont les aspirations ne sont pas suffisamment prises en compte par les mêmes Chefs d’Etat.  Pour ces populations, un coup d’Etat qui permettrait de mettre en place des institutions pérennes afin de relever les défis auxquels leurs pays respectifs sont confrontés ne pourra qu’être salvateur. C’est en empruntant cette voie que le coup d’Etat au Mali pourrait constituer une véritable rupture avec les errements du passé.

 

Mohamed Tall

Ancien ministre de l’Élevage

Directeur de Cabinet du président de l’Union des forces républicaines (UFR)

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