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La qualité du portefeuille appréciée, l’augmentation du taux de décaissement notée et saluée… La Banque Mondiale est à l’écoute de la Guinée !

Une grande la Mission de la Banque Mondiale dirigée par son Vice-Président pour l’Afrique, Mr Hafez Ghanem séjourne depuis quelques jours en Guinée. Cette mission précédée par l’équipe d’experts conduite par Mme Coralie Gevers, nouvelle Directrice des opérations pour la Guinée ainsi que l’Administrateur Pays à la Banque Mondiale Mr Jean Claude TCHATCHOUANG a eu une importante séance de travail  ce lundi 29 juillet avec Mme la Ministre Kanny Diallo et son Cabinet.

Le Vice-Président Hafez GHANEM se dit déjà « très impressionné par les avancées en matière de gestion du portefeuille et notamment les progrès enregistrés dans l’augmentation de la capacité de décaissements des ressources affichée ces dernières années par la Guinée grâce au dynamisme de Mme la Ministre du Plan et du Développement Economique et des équipes des départements sectoriels appuyés par l’équipe pays de la Banque en Guinée ».

Dans le sillage de la visite de cette grande équipe de la banque mondiale en Guinée, Mme la Ministre du Plan et du Développement Economique avait accordé une interview à l’équipe de rédaction du Bulletin du Bureau de l’Administrateur pays à la Banque Mondiale à Washington. Entretient ci-dessous, que nous partageons avec le grand public.

Bulletin du Bureau de l’Administrateur (BBA) : Bonjour Mme la Ministre. Le Bulletin de ce mois de juillet est consacré à la problématique de l’énergie dans les pays de notre groupe. La Guinée est souvent qualifiée comme étant le réservoir de l’Afrique de l’Ouest, et de la sorte peut alimenter toute la sous-région en énergie électrique, comment appréciez-vous le potentiel de la Guinée en matière d’énergie électrique ?

Son Excellence Mme Kanny Diallo (KD) : Je remercie le Bulletin du Bureau de l’Administrateur de cette opportunité qui m’est offerte de parler du potentiel énergétique de la Guinée. Comme vous le savez, là où il y a de l’eau en abondance, il y a également un potentiel de production d’énergie hydroélectrique. En ce qui concerne la Guinée, les principaux fleuves de l’Afrique de l’ouest comme les fleuves Niger, Sénégal et Gambie, y prennent leur source. Il y existe en outre, plus de 1 000 cours d’eau et la quantité de ressources en eau renouvelable par an, est estimée à 266 km3, avec une capacité estimée à 22 000 mètres-cubes (m3) d’eau par habitant par an. Ceci qui fait que la Guinée est effectivement le « château d’eau » de l’Afrique de l’Ouest.

Avec cette importante dotation en eau, le pays peut développer un potentiel hydroélectrique estimé à 6 000 MW, réparti sur tout le territoire national pour une capacité cumulée de 19 300 GWH/an. Si cette capacité est exploitée, elle représenterait un atout majeur permettant de répondre aux besoins en électricité pour le développement économique du pays et de la sous-région.

 BBA : Excellence, avec un tel potentiel, comment peut-on expliquer le faible taux d’accès à l’électricité en Guinée ?

KD : Le faible taux d’accès à l’électricité en Guinée est le résultat d’une capacité d’offre insuffisante face à une demande de plus en plus croissante en lien avec la poussée démographique de ces dernières décennies. Cette insuffisance qui s’exprime en termes de déficit d’infrastructure électrique, est constatée à trois niveaux : la production électrique, la transmission et la distribution.

En ce qui concerne la production, il est à noter que le taux d’accès de l’électricité est de 18 %, l’un des plus faibles de la sous-région. Cette production est assurée par une combinaison de sources thermiques et hydroélectriques. L’offre « réelle » est insuffisante car une grande partie du parc de production telle que la centrale thermique de Tombo est en arrêt technique. Par ailleurs, les aléas saisonniers et pluviométriques font que le barrage de Kaléta n’est pas encore en mesure de fournir tout son potentiel (cette situation pourra être résolue lorsque le barrage de Souapiti situé en amont sera opérationnel en 2020). Il est prévu que la demande nationale d’électricité augmentera de 10 % par an pour atteindre 810 MW en 2022. Face à cette situation, le Gouvernement ambitionne d’accroître la capacité installée à 1 400 MW à l’horizon 2022, tout en réduisant les pertes techniques.

Le réseau de transmission existant souffre d’une vétusté avancée entraînant des pertes techniques élevées. Il couvre un ensemble d’interconnexions à l’ouest du pays, alimentant notamment Conakry, au centre du pays et plusieurs centres isolés et disséminés sur l’ensemble du territoire. Le réseau existant nécessite de lourds investissements dans de nouvelles lignes et postes de transmission pour favoriser les interconnexions nationales et transnationales.

Le réseau de distribution quant à lui est confronté à des difficultés liées notamment à la fraude, aux raccordements illégaux et à un faible recouvrement de coûts. Des actions sont en cours pour redresser la situation du secteur de l’énergie, y compris l’assainissement de la performance commerciale de la compagnie nationale Electricité de Guinée (EDG).

Les tarifs de l’électricité pour les ménages, qui représentent 45 % de la consommation, varient actuellement entre 1 et 3 centimes de dollars par kWh. C’est l’un des tarifs les plus bas en Afrique de l’Ouest. Pour les établissements publics et les industries, ils sont de l’ordre de 17 à 26 centimes de dollars par kWh. Alors qu’en moyenne, le coût de la fourniture d’électricité aux utilisateurs finaux est d’environ 25 centimes de dollars par kWh. Un coût renchéri, par une production coûteuse à base de fuel, à laquelle nous avons recours du fait de la saisonnalité de la production hydroélectrique. Ce tarif élevé est également dû aux pertes liées au réseau. Les branchements illégaux généralisés ne permettant qu’un recouvrement parcellaire des coûts par EDG.

Comme vous pouvez le constater, les contre-performances du secteur s’expliquent essentiellement par le choix d’un mix énergétique onéreux, associé à des tarifs relativement bas pour les consommateurs, bien qu’inférieurs aux coûts de production.

BBA : Quelle est la stratégie du Gouvernement pour redresser la situation du secteur et améliorer l’accès à l’électricité en Guinée ?

KD : Le secteur de l’énergie est appelé à jouer un rôle crucial dans la mise en œuvre du Plan National de Développement économique et Social (PNDES) de la Guinée. Les actions prioritaires envisagées dans ce cadre, consistent à : i) garantir la disponibilité, la qualité et la fiabilité de l’approvisionnement en électricité ; ii) promouvoir les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique ; iii) réduire la dépendance aux combustibles fossiles tout en permettant l’exportation d’électricité dans la sous-région ; iv) élargir l’accès à des services énergétiques modernes suffisants, fiables et abordables pour la transformation socio-économique et la croissance industrielle en Guinée ; v) améliorer la viabilité financière de l’EDG tout en maintenant des tarifs d’électricité à un niveau abordable pour la population.

Ainsi la stratégie globale de réponse du Gouvernement aux besoins énergétiques de la Guinée consiste à remédier aux problèmes à court terme, à travers la mise en œuvre du plan de redressement du secteur ; et à moyen terme, à préparer l’avenir en développant le potentiel hydroélectrique dans le cadre de partenariats public-privés bien structurés. Ceci nécessite la révision de la loi sur l’électricité et de la loi BOT (Build, Operate and Transfer) de manière à permettre l’implication du secteur privé dans la gestion du secteur, pour attirer les investissements nécessaires à son développement.

BBA : Quelles sont les actions menées par le Gouvernement pour libérer le potentiel du secteur et augmenter les flux de capitaux privés dans le secteur ?

KD : Le secteur de l’énergie de la Guinée fait actuellement l’objet d’une restructuration en profondeur en vue de sa libéralisation. L’Agence Guinéenne d’Électrification Rurale, créée le 9 mai 2017, est ainsi appelée à superviser l’élaboration des programmes d’électrification rurale, notamment à travers des solutions décentralisées d’électrification hors du réseau. La loi sur l’électrification rurale régissant la concession des petites centrales de moins de 500 kilowatts (kW) a été adoptée en 2013. À cet effet, des accords de concession types pour des mini-réseaux exploités par des opérateurs privés ont déjà été élaborés par le Gouvernement depuis 2005. En 2017, le Parlement a adopté une loi instituant un régulateur indépendant de l’électricité. Le Gouvernement a récemment nommé le Directeur général de cette agence de régulation.

La loi sur l’électricité a été mise à jour avec le soutien de la Banque africaine de développement, afin de refléter les nouveaux développements dans le secteur et encourager la participation privée dans la production d’énergie solaire à court terme et d’énergie hydroélectrique à moyen et long terme. Un ensemble de réglementations sera élaboré en 2019 pour l’application de la loi sur l’électricité. Les choses avancent bien puisqu’il existe déjà quatre producteurs d’énergie thermiques indépendants (IPP) dans le pays.

Pour réduire le déficit financier d’EDG, le gouvernement s’est engagé à augmenter progressivement les tarifs d’électricité et à réduire les subventions publiques au secteur au fil du temps. Comme nous l’évoquions plus haut, l’écart entre les tarifs de l’électricité et le coût de production fait qu’EDG se trouve dans une situation financière critique avec un déficit d’exploitation de 92 millions de dollars en 2017, déduction faite des subventions publiques d’un montant total d’environ 116 millions de dollars. Le Gouvernement a procédé, en mai 2018, à des augmentations de tarifs d’environ 10 % pour les catégories de consommateurs résidentiels et tertiaires et de 25 % pour les consommateurs industriels et les administrations. Un modèle financier transparent du secteur, définissant une méthode d’ajustement progressif des tarifs et une feuille de route permettant au secteur de se doter d’un tarif de recouvrement des coûts à moyen terme, a été mis en service en juin 2017. Ses conclusions ont été examinées et adoptées par le Gouvernement en février 2019 et servira d’outil pour de nouveaux ajustements tarifaires par le régulateur indépendant de l’électricité. Une étude tarifaire reflétant l’augmentation tarifaire adoptée pour différentes catégories de consommateurs a été réalisée en décembre 2018, dans le cadre d’un appui de la Banque africaine de développement.

BBA : Quelles sont les réalisations majeures dans le secteur de l’électricité en Guinée ?

KD : Le Gouvernement a développé et maintenu un parc de production électrique d’une capacité installée de 699 MW et compte tendre à 1 400 MW à l’horizon 2022. Le parc actuel est composé : i) des centrales thermiques de Tombo (77,2 MW – actuellement en arrêt technique), de Kankan (10,14 MW), de Faranah (1,4 MW) et de Dabola (160 kW) ; et ii) des centrales hydroélectriques de Kaléta (240 MW), de Garafiri (75 MW), des Grandes Chutes (27 MW), de Donkéa (15 MW), de Banéa (5 MW), de Kinkon (3,4 MW), de Tinkisso (1,65 MW), de Samankou (0,41 MW) et de Loffa (0,15 MW).

La réalisation en 2015 du barrage hydroélectrique de Kaleta sous la forme d’un partenariat public-privé (PPP) a permis au Gouvernement de lever les fonds nécessaires pour le lancement de la construction du barrage hydroélectrique de Souapiti en collaboration avec la Chine. La mise en exploitation de Souapiti est prévue en 2020. Celui-ci, situé en amont de Kaleta, permettra d’en optimiser la production.

L’assainissement de la situation financière d’EDG en vue de sa viabilité économique est la priorité du Gouvernement. À cet effet, nous menons actuellement des efforts pour remédier à la situation des arriérés et du niveau élevé de la dette du secteur. Une étude analytique est entreprise pour confirmer le montant des arriérés de consommation d’électricité des institutions publiques et de l’éclairage public accumulés au 31 décembre 2018. Elle donnera lieu à un plan pour les régulariser à moyen terme. Le Gouvernement est également en train de mettre en place un système robuste et fiable pour assurer le paiement régulier des factures d’électricité par le secteur public et les institutions parapubliques.

Nous préparons un plan de restructuration financière d’EDG, qui comprendra sa recapitalisation et le transfert des actifs du Gouvernement à la nouvelle société en 2019. Ce plan de restructuration aidera le Gouvernement à faire face aux dettes d’environ 330 millions de dollars (environ 3,2 % du PIB ou deux années de chiffre d’affaires) qu’EDG doit aux fournisseurs de carburant et aux producteurs indépendants d’électricité.

Nous travaillons également pour la réalisation de centrales hydroélectriques à portée régionale. Il s’agit de Sambangalou (128 MW) sur le fleuve Gambie, Amaria (300 MW), Korafindi (100 MW) et Kogbedou-Frankonedou (90 MW).

BBA : Quels sont les défis à relever pour intégrer les réseaux régionaux dans une structure nationale coordonnée et comment voyez-vous la place de la Guinée dans le marché régional d’électricité du WAPP ?

KD : Notre ambition est d’optimiser la capacité de production, de transport et de distribution du réseau électrique pour servir le marché national et sous-régional. Notre premier défi sera d’optimiser l’ensemble du potentiel électrique existant, notamment l’hydro, le solaire et l’éolien pour générer une capacité suffisante pour ces marchés. Dans le cadre de la réalisation des projets à venir, une étude plus globale sur la stratégie de développement du potentiel hydroélectrique devrait être conduite. Notre second défi sera de renforcer, réhabiliter et moderniser les réseaux de distribution afin de pouvoir absorber la production additionnelle. Le troisième défi – que nous avons déjà commencé à relever – est l’amélioration de la gestion commerciale d’EDG pour nous assurer que l’énergie produite est bien facturée, et pour faire en sorte qu’EDG soit en mesure de recouvrer ses coûts pour soutenir son ambitieux programme d’investissement pour la construction de nouvelles infrastructures. Notre quatrième défi, qui dépend des précédents, est celui de la mobilisation des financements. Comme vous le savez, les capacités publiques pour financer des projets d’infrastructures électriques sont limitées et les banques locales ne proposent pas de financements de long terme. Dans ces conditions, la réalisation des projets repose essentiellement sur les financements bilatéraux et multilatéraux. Nous pensons que les financements privés ont un rôle important à jouer dans le développement du secteur électrique en Guinée et nous travaillons ardemment pour créer les conditions favorables à cela.

BBA : Enfin, quel est l’état de la collaboration entre la Guinée et la Banque mondiale dans le secteur de l’énergie ?

KD : La collaboration entre la Guinée et la Banque mondiale sur l’énergie est excellente. La Banque mondiale s’emploie à résoudre les problèmes sectoriels et à soutenir le développement durable du secteur de l’énergie en Guinée par le biais d’un dialogue politique, d’activités d’investissement et d’une assistance technique. Les activités en cours de la Banque mondiale dans le secteur de l’électricité incluent : a) le projet de relance du secteur de l’électricité et son financement supplémentaire ; b) les projets d’interconnexion régionale entre la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Gambie, la Guinée Bissau, le Mali et le Sénégal ; et c) le deuxième appui budgétaire pour soutenir la gestion macroéconomique et budgétaire, qui comprend les actions préalables liées au secteur de l’énergie. La Banque prépare actuellement un nouvel appui budgétaire qui soutiendra les réformes que j’ai évoquées précédemment.

Avec le soutien de la Société financière internationale (IFC) et l’appui technique de la Banque mondiale par le biais du mécanisme de partenariat du fonds fiduciaire Corée-Banque mondiale, nous envisageons de développer plusieurs centrales solaires photovoltaïques (PV) pour diversifier le mix énergétique du pays. Nous travaillons également avec le Groupe de la Banque mondiale sur le réseau de transport de haute tension (HT) pour les interconnexions avec le Mali, la Côte d’Ivoire, le Libéria et la Sierra Leone. Parallèlement, nous travaillons sur les lignes à moyenne tension (MT) et à basse tension (BT), qui sont relativement moins coûteuses et plus rapides à mettre en œuvre.

BBA : Madame la Ministre, nous vous remercions pour cette entrevue.

KD : Tout le plaisir est pour moi de partager l’expérience de la Guinée sur cet important dossier concernant le développement du secteur de l’énergie électrique.

 

Entretien transmis par le service de communication du MPDE

 

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