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Kassory Fofana, Premier ministre guinéen : ‘’ce n’est pas évident du tout qu’il y ait 68% d’électeurs par rapport à la démographie globale’’

La Guinée vote ce dimanche 1er mars pour élire ses députés et pour changer ou non de Constitution. Mais la Francophonie vient de se retirer du processus électoral. Le Premier ministre guinéen, Ibrahima Kassory Fofana, ne cache pas sa déception.

RFI : La Francophonie renonce à soutenir le processus électoral dans votre pays. Est-ce que ce n’est pas un coup dur pour la crédibilité des deux scrutins, législatives et référendum constitutionnel, du 1er mars ?

Ibrahima Kassory Fofana : Peut-être. Mais nous sommes surpris par la décision parce que la Francophonie avait un travail technique à faire. Ce travail était accompli entièrement pour cette phase en tout cas. C’est un coup dur certainement parce que c’est une surprise pour nous. Pour nous, tout allait bien. Au dire de cette mission de la Francophonie et de toute l’équipe que j’ai personnellement reçue à mon bureau à l’issue de la mission, parce qu’il ne s’agissait pas d’un travail politique, il s’agissait d’une assistance technique pour le nouveau logiciel que la Céni [Commission électorale nationale indépendante] a acheté. Nouveau logiciel d’une performance reconnue aujourd’hui à travers l’Afrique et dans le monde, que la Céni a acheté pour précisément la transparence des opérations électorales en Guinée.

Le sujet qui fait débat, c’est le fichier électoral. Il y a deux ans, la Francophonie a pointé la présence problématique de deux millions et demi de personnes sur ce fichier. Et aujourd’hui, elle constate que ces deux millions et demi de personnes sont toujours dans le fichier. Pourquoi y sont-elles encore ?

Il y a un problème politique concernant ces deux millions et demi parce que la loi électorale, qui régit les élections, devrait être révisée pour permettre d’évacuer sur les deux millions et demi celles des personnes qui ne sont pas dans les règles, dans les normes. Malheureusement, cette loi n’a pas pu être révisée parce que l’opposition et la mouvance [présidentielle] ne se sont pas entendues à l’Assemblée et il n’est pas du ressort de la mission de l’OIF [Organisation internationale de la Francophonie] d’évacuer, de nettoyer le fichier en l’absence du cadre réglementaire normal, c’est ce qui explique ça. Mais cela ne devrait même pas affecter la sincérité des opérations électorales. Parce que les deux millions et demi de personnes sont réparties de manière totalement cohérente avec la réalité actuelle du fichier, c’est-à-dire que vous les trouvez dans les fiefs de l’opposition comme dans les fiefs de la mouvance. Vous en avez pour près de 600 000 dans Conakry où tout le monde y est. Vous en avez pour 400 000 ou plus dans le fief de l’opposition. C’est totalement réparti sur l’ensemble de la Guinée. Donc, ça n’affecterait pas d’un point de vue statistique la sincérité des opérations.

Ce n’est pas ce que dit l’opposition. Elle affirme qu’il y a beaucoup plus d’électeurs fantômes en Haute-Guinée [fief de la mouvance présidentielle] qu’en Moyenne-Guinée [fief de l’opposition] ?

Si vous avez deux minutes, je peux vous donner ces quelques chiffres. En Haute-Guinée, on parle de Kankan où vous en avez 351 000, mais quand vous prenez Labé [en Moyenne-Guinée], vous en avez 200 000. Quand vous prenez Mamou, vous en avez 131 000. Ce sont les zones de l’opposition. Quand vous prenez Conakry, où il y a égalité entre l’opposition et la mouvance, vous en avez 144 000. Alors c’est dire que ça ne devrait pas très sincèrement affecter la sincérité des chiffres.

Mais s’il y a dans le fichier actuel, comme vous semblez le concéder d’ailleurs, beaucoup d’électeurs décédés, beaucoup d’électeurs mineurs, beaucoup d’électeurs doublons, est-ce que cela ne nuit pas à la crédibilité des deux scrutins à venir ?

Non, attention. Sur un plan nominal, on peut dire oui. Mais quand les gens sont décédés, ils ne sont pas en mesure de se présenter aux élections. C’est clair, ça.

Avec le fichier actuel, le corps électoral représente 68% de la population guinéenne. Or dans les autres pays de la sous-région, ce ratio ne dépasse pas 41%, souligne l’opposition…

Je n’ai pas les mêmes chiffres. Pour moi, ce n’est pas évident du tout qu’il y ait 68% d’électeurs par rapport à la démographie globale.

En tout cas, il y a un fait, c’est que la Francophonie renonce à participer au processus électoral…

Oui. On le regrette parce que nous avons apprécié la collaboration de la Francophonie. Encore une fois, pour cette étape, elle a fini son travail. Nous ne comprenons pas la décision de retrait. Nous pensons que ceci va être revu très rapidement, parce que nous avons besoin de la Francophonie qui a apporté une assistance technique totalement appréciée.

Une assistance de très longue date, depuis l’époque Abdou Diouf (2003-2015)…

Absolument.

Après les États-Unis, après la France, c’est donc la Francophonie et son chef de mission, le Malien Tieman Coulibaly qui a été ministre des Affaires étrangères, qui émet de sérieux doutes sur la crédibilité des deux scrutins de dimanche prochain. Est-ce que vous n’êtes pas en train de vous isoler sur la scène internationale ?

Non, pas du tout. On ne s’isole pas parce que tout ce qui est fait, c’est conforme à la loi, aux lois guinéennes, et tout ce qui est fait, c’est dans la transparence, même si cette transparence peut être jugée insuffisante, dépendante des uns et des autres.

Oui, mais tout de même, beaucoup d’observateurs de beaucoup de pays mettent en cause la crédibilité des deux scrutins ?

Ça, c’est vous qui le dites. Je n’ai pas de notification en dehors des assistants techniques de la Francophonie. Il ne faut pas dramatiser parce qu’ils ont fini la mission pour laquelle ils ont rendu compte. Je n’ai pas l’impression que la Guinée est isolée ou que le processus est contesté. On n’a pas ce sentiment.

Depuis quatre mois, les manifestations de l’opposition sont très brutalement réprimées. Au moins 29 civils ont été tués. Si l’opposition manifeste à nouveau cette semaine, est-ce qu’il y aura à nouveau des tirs à balles réelles de la part des forces de l’ordre, comme le craint Human Rights Watch ?

Tout est fait pour qu’il n’y ait pas de violence. Mais on ne le dit pas assez du côté de nos adversaires, les manifestants ne sont pas encadrés souvent. Vous avez dû suivre ce qui s’est passé en dehors de la Guinée, en Sierra Leone il y a deux jours, où les manifestants sont partis casser l’ambassade de Guinée et où il y a eu mort d’homme, parce qu’un manifestant s’est fait lyncher par les populations. Vous avez suivi il y a quelque deux ou trois semaines dans le fief de l’opposition où il y a eu des casses de la part de nos opposants. Les forces de l’ordre ne sont pas intervenues du tout. Je suis heureux de noter que le chef de l’opposition [Cellou Dalein Diallo], dans sa déclaration d’hier, a déclaré qu’il est disposé à faire de l’opposition non violente. Il a demandé le boycott, mais pas de violence. Je veux bien le croire sur les mots, mais je l’inviterai et, je le prierai de veiller sur ses troupes, parce que j’ai visité les réseaux sociaux, les appels à la violence du FNDC [Front national pour la défense de la Constitution] sont clairs. C’est un appel aux manifestants d’aller casser les bureaux de vote.

Et les tirs à balles réelles sur la population, c’est terminé ?

Je n’ai pas de cas où on a eu des preuves de tirs à balles réelles sur la population. Depuis que je suis arrivé au gouvernement, j’ai demandé que tous les cas de pertes en vie humaine issues des manifestations fassent l’objet d’une enquête dans les règles de l’art. Faisons tout, absolument tout pour que les manifestations soient encadrées. Le président de la République a demandé que toute sortie de police soit précédée d’une fouille systématique des policiers pour qu’on soit sûr que nous ne portons pas des armes à feu. C’est ça qui se passe.

Lors d’un meeting, le président Alpha Condé a dit à ses partisans : « Quiconque viendra pour détruire les urnes, frappez-le ». Est-ce le rôle du chef de l’État d’appeler des citoyens à frapper d’autres citoyens ?

Non, ce n’est pas le rôle du président. Ça, c’est par agacement. Ici et là, on s’attaque aux biens publics et les menaces sont claires pour dire : le jour du vote, l’opposition, le FNDC en particulier dit : allez détruire les bureaux de vote. Le président dit aux citoyens : protégez les bureaux de vote et ceux qui viennent les « détruire », « frappez-les ». Ça, c’est une exagération de langage. Il ne le pense même pas. C’est une manière d’encourager les gens à protéger les bureaux de vote.

« C’est indigne d’un chef de l’État », dit le numéro un de l’opposition, Cellou Dalein Diallo…

Ça, je lui laisse dire ça. Ça, je ne peux pas le dire.

« La paix et l’unité du pays n’ont jamais été aussi menacées que maintenant », affirme l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH)…

Je n’ai pas ce sentiment. J’ai vu en Guinée, j’ai vu dans les quartiers. Je n’ai pas le sentiment.

Le 10 février dernier, c’était sur RFI et France 24, le président Alpha Condé n’a pas exclu de briguer un troisième mandat à la présidentielle d’octobre 2020. Personnellement, vous êtes pour ?

Il n’a pas non plus affirmé qu’il est candidat (rires). Il a dit que la désignation pour un scrutin présidentiel relève de la compétence des partis politiques. Il n’a pas dit qu’il est candidat.

Mais est-ce que le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) peut désigner un autre candidat qu’Alpha Condé ?

Je ne suis pas en mesure de présager de la décision du RPG à ce stade. À l’occasion des élections, vous remarquerez d’ailleurs dans certains pays que les têtes de parti ne sont pas forcément les candidats de ces partis aux élections présidentielles.

Et personnellement, où va votre préférence, pour le candidat RPG d’octobre prochain ?

Posez-moi la question en octobre prochain.

Par RFI

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