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INDUSTRIE DE LA BAUXITE EN GUINÉE : à quoi sert RusAl ?

Pendant que  toutes les nouvelles sociétés avancent au galop dans l’industrie de la bauxite guinéenne, RusAl fait le caméléon, malgré les énormes gisements qui lui ont été concédés. Et personne ne s’en indigne. Anguille sous roche ?

Que rapporte  RusAl  à la Guinée ? La question mérite d’être posée, car cette compagnie de bauxite lambine et contribue très peu au budget national de développement. Pourtant sa présence dans le pays remonte à 1969. Comparé à des sociétés très récentes, son apport à la Guinée en termes d’emplois et de recettes budgétaires reste dérisoire. Cette situation désespérante suscite de sérieux doutes sur la sincérité de la compagnie. Le citoyen guinéen aimerait bien savoir enfin à quoi servent les sociétés de RusAl en Guinée, eu égard à l’énormité des gisements qui leur sont concédés. En 1969, l’Office des bauxites de Kindia (OBK) est créé. Il appartient à 100% à la Guinée, et il a pour but d’exploiter les mines de Kindia. La Guinée signe un accord avec l’Union Soviétique qui devient responsable de la construction de la mine, du chemin de fer et des aménagements portuaires.

La production commence en 1972. Les coûts de construction sont remboursés à l’URSS par 50% de la bauxite produite et 40% autres dans le même cadre et/ou dans le cadre d’un marché à long terme entre les deux pays. Cet accord est du pain béni pour la partie B. On l’imagine bien. La jeune Guinée n’a pas les moyens techniques de contrôler la production ni de l’estimer avec précision. Les esprits sont cependant assez évolués  dans le pays pour ne pas être dupes. Dans le peuple on murmure alors qu’aux sous-déclarations de production se conjuguent des bateaux minéraliers avec une cale à double fond construits spécialement pour faire durer les délais de remboursement. Le gouvernement guinéen, pris dans l’orbe soviétique et sous le charme, n’y voit que du feu. La première République socialiste guinéenne s’écroule subitement. En 1992, la Guinée est déjà sous l’ère libérale depuis huit ans, l’empire soviétique a fait son temps et se réduit à la Russie métropolitaine depuis peu.

L’OBK est transformée en SBK (Société des bauxites de Guinée). Puis en 2000 la Guinée et Ruskie Alumini (RusAl) s’accordent à transférer la production de la SBK à RusAl. Un an après, cette compagnie obtient de la Guinée les droits de gestion de la SBK. Celle-ci change de nom et devient la CBK  (Compagnie des bauxites de Kindia). Les gisements de Dian-Dian, dans la région de Boké, sont estimés à plus d’un milliard de tonnes de bauxite à 50% d’alumine. C’est l’Eldorado. Les Russes y ont déjà fait de l’exploration, donc la compagnie RusAl s’y intéresse tout naturellement. Elle lance le projet de bauxite de Dian-Dian en juillet 2014 avec un programme de développement de la mine en trois phases promis à une production annuelle de 3 millions de tonnes en 2015 et 6 millions en 2019. Il est prévu la construction d’une raffinerie d’alumine d’ici à 2019. Au moment  où RusAl lance le projet de bauxite de Dian-Dian, ce sont trois sociétés qui travaillent en Guinée. Elles totalisent une production annuelle de bauxite de 17 millions de tonnes. RusAl voit alors d’un mauvais œil l’arrivée d’une autre compagnie dans la région bauxitique de Boké (la zone la plus riche du monde). Contrairement à elle qui traîne depuis près d’un demi-siècle, la nouvelle venue fait des bonds de sept lieues et en moins de deux ans la Guinée voit sa production annuelle totale multipliée par trois.

Bien évidemment, cette célérité est à la hauteur des nouveaux investissements faits, qui ont permis par ailleurs de créer des milliers de nouveaux emplois à Boké et d’injecter dans l’économie guinéenne ce que RusAl ne pourrait (ou ne voudrait ?) faire même en rêve Dès lors, les coups de Jarnac et les tirs de barrage contre la concurrence actuelle ou à venir dans la région bauxitique de Boké se multiplient. Il faut déstabiliser par tous les moyens une société devenue une mauvaise conscience. En sous-main ou de longue main (émeutes, désinformation, intox, instrumentalisation des politiciens…). Et pourtant, les gisements bauxitiques guinéens mis au jour sont estimés à 42 milliards de tonnes de qualité supérieure. Il y en a pour tout le monde. Si la production totale actuelle stagne, il faudra plus de 800 ans pour les épuiser.

Qui sait si dans quelques décennies, le formidable progrès enregistré par le secteur des matériaux de synthèse n’aura pas abouti à l’invention d’un substitut à l’aluminium bon marché et plus performant ? La bauxite deviendra alors de la simple boue sous des bowés arides. Pour le moment, la bauxite est pour l’État guinéen une énorme source de devises et de fonds propres pour le développement de tous les secteurs de l’économie nationale.

À ce compte, l’on se demande pourquoi ne pas intensifier son extraction et gagner les capitaux nécessaires pour la mise en valeur rapide de l’énorme potentiel hydroélectrique guinéen, sans laquelle toute raffinerie d’alumine et a fortiori d’aluminium demeurera onéreuse. Au demeurant, le processus bauxite-alumine-aluminium passe par un développement optimal du secteur hydroélectrique, qui boostera aussi tous les autres secteurs économiques. Au gouvernement de créer, et sans tarder, un cercle vertueux à partir de la principale richesse nationale : la bauxite. Il ne servirait à rien de faire la fine bouche dans la délivrance des permis miniers aux compagnies sérieuses. Il ne servirait à rien non plus d’être trop permissif avec les sociétés de bauxite, que ce soit avec les vieilles ou avec les jeunes. Diligence et rigueur doivent aller de pair. Pour le moment des questions restent en suspens. Pourquoi RusAl traîne-t-elle les pieds. Qui connaît sa production exacte ? Combien paie-t-elle à l’État ? En tout cas, elle ne publie pas sa production ni ce qu’elle paie et, malgré sa longévité en Guinée, elle n’a toujours pas construit son siège. C’est pourtant une exigence du code minier. Son siège, c’est l’État qui l’a construit, une des villas de la Cité des Nations. Ils ne sont pas bêtes, nos amis de RusAl. Aux mines de Débélé et Balaya, où opère la SBK, les travailleurs nationaux sont tyrannisés, le collège syndical stipendié.

La SBK est comme un no man’s land juridique, tant il semble échapper aux textes législatifs (code du travail, code minier et conventions collectives). Les licenciements arbitraires y sont légion. Et sans règlement aucun ! La dureté de RusAl est d’ailleurs bien connue. Pour une grève légale, elle a fermé l’usine d’alumine de Fria sans crier gare et s’en est allée, laissant derrière elle une population citadine sinistrée. La compagnie (…) avait racheté l’usine à une obole – un dixième de sa valeur réelle, au bas mot.

Une misère vite amortie. Finalement, la grève et la fermeture subséquente de la raffinerie d’alumine n’ont-elles pas permis à RusAl de se soustraire à ses obligations contractuelles, parmi lesquelles la modernisation de cette usine construite à l’époque coloniale ? En tout cas, les bénéfices ont été rapidement récoltés et RusAl est partie sans pitié. Elle savait bien que la ville entière crierait famine et la réclamerait en rampant. Un excellent moyen de revenir en position de force dans toute renégociation ultérieure du contrat. Et c’est bien le cas aujourd’hui. Pourquoi chercher dans la marmite ce qui est déjà posé tout cuit sur le couvercle ? On calcule bien ses coups dans le jeu d’échecs.

  1. Brichèle paru dans Le Populaire

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