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Guinée : main basse sur les ressources minières

Focus sur les répercussions environnementales de la ruée sur la bauxite et l’or, matériaux essentiels à la fabrication de nos objets du quotidien.
Episode 1 : mission d’inspection des sites miniers avec Aboubacar Kaba
Aboubacar Kaba est responsable du LAE, le Laboratoire d’analyses environnementales du ministère guinéen de l’Environnement, des Eaux et Forêts. Chaque semaine ou presque, ce fonctionnaire opiniâtre s’aventure sur des routes cabossées, avec dans ses valises, des instruments de mesure de la qualité de l’air, de l’eau et du sol. Ses missions d’inspections environnementales et sociales, qui ciblent essentiellement les zones d’extraction minière, ont débuté en 2015.
La Guinée se hisse alors parmi les principaux producteurs mondiaux de bauxite, un minerai utilisé pour fabriquer l’aluminium, et la région de Boké, à 300 km au nord de Conakry, est transformée. Prise d’assaut par des entreprises américaine, australienne, britannique, chinoises, émiratie, française, indienne, russe…
50 millions de tonnes d’or rouge ont été exportées en 2018 selon l’Institut américain d’études géologiques (USGS).
C’est ici qu’Aboubacar Kaba termine une évaluation des activités du groupe chinois CDM Henan. Il doit encore sonder un village d’agriculteurs et d’éleveurs, Kensikèren (750 habitants). Cernée par les opérations d’extraction de CDM Henan et de la SMB (consortium chinois, guinéen et singapourien), la localité est aussi au bord d’une route minière, où des camions non bâchés transportent 24/7 des cargaisons de bauxite. La mesure de la quantité de microparticules de poussières présente dans l’air commence à l’entrée du village.
Episode 2 : un boom de l’orpaillage qui bouleverse le paysage
13 tonnes d’or, 60 000 hommes, des centaines d’esclaves… La caravane fastueuse formée pour le pèlerinage à la Mecque de Mansa Moussa au début du 14e siècle a marqué les esprits.
Ce souverain règne alors sur l’Empire du Mali, qui s’étend du Niger jusqu’au centre de l’actuelle Guinée, et dont le sous-sol regorge d’or. 700 ans plus tard, la région du Bouré, au nord-est de la Guinée, est encore réputée pour la qualité de son métal jaune. Quant à l’orpaillage, c’est un savoir-faire qui s’y est perpétué. Sauf qu’avec l’envolée des cours de l’or à partir du milieu des années 2000, l’activité s’est développée de façon fulgurante. En 2016, l’or extrait de façon artisanale représentait la moitié des exportations d’or de Guinée selon une étude du PROJEG (Programme de Renforcement des capacités des Organisations de la société civile et de la Jeunesse Guinéenne).

Episode 2 : un boom de l’orpaillage qui bouleverse le paysage

Face à la mairie de Kintinian, une forêt de manguiers a cédé la place à une immense excavation de plusieurs mètres de profondeur. Là, des hommes outillés de pioches et de pelles, abrités par des bâches de plastique bleu, creusent des tranchées ou des puits de plus de 20 mètres de profondeur. La population de cette commune, (128 152 habitants recensés en 2014/2015) a été multipliée par cinq en « quelques années » selon le maire de Kintinian Bala Camara. « On ne fait plus rien sauf l’orpaillage ici. Tous les jours, de nouveaux creuseurs arrivent », lâche-t-il, dépité.
Sur un autre site, le minerai est broyé et lavé. L’usage du mercure, très polluant et nocif pour la santé humaine, est encore peu répandu. Mais les inquiétudes se focalisent ailleurs : sur les trous béants non rebouchés, le manque de reboisement (y compris par les multinationales présentes aussi dans la région), le ruissellement des résidus dans les cours d’eau, et l’ensablement des fleuves. Avec Sidiki Keïta, directeur préfectoral de l’environnement à Siguiri, et Wali Camara, de l’ONG Héré Guinée.

Episode 3 : création du plus grand parc de chimpanzés d’Afrique de l’Ouest

La population de chimpanzés a diminué de plus de 80% ces 20 dernières années en Afrique de l’Ouest – l’Union internationale de la conservation de la nature (IUCN) l’a d’ailleurs classée en 2016 comme une sous-espèce en «danger critique d’extinction».
En Guinée, le boom d’extraction de la bauxite constitue un facteur aggravant. « Quand il faut décaper l’entièreté des forêts et des sols pour accéder à la bauxite, utiliser de la dynamite, des engins bruyants, il est évident que les populations animales ont du mal à survivre. Pour les chimpanzés, obligés de se déplacer, cela accroît la mortalité car ils sont très territoriaux. Des conflits naissent au contact des groupes voisins qu’ils rencontrent dans leur migration», explique Arnaud Gotanegre, directeur de la Fondation pour les chimpanzés sauvages (WCF) en Guinée.
En septembre 2017, la ministre guinée de l’Environnement a officialisé la création du Parc national du Moyen Bafing, qui abrite sept forêts classées. Le plus grand parc de chimpanzés d’Afrique de l’Ouest !
Une première évaluation a répertorié quelque 5000 individus dans cette réserve naturelle de près de 6500 km². Un chiffre que sont en train d’affiner la WCF et l’Office guinéen des parcs et réserves (OGPR), tout en initiant des activités de conservation avec les 235 villages présents dans le parc. Ils sont appuyés financièrement par la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) et la GAC (Guinea Alumina Corporation, filiale de l’Emirati EGA), au titre de la compensation écologique.
Avec Sow Mamadou, directeur général adjoint de l’OGPR, Benjamin Debétencourt, doctorant à l’Institut Max Planck et employé de la WCF, Abdoulaye Touré, chargé d’activité à la WCF et Pacifique Kizila, gestionnaire du parc pour la WCF.

Episode 4 : boues rouges et poussières d’alumine à Fria

Fria, devenue Friguia en 1975, fut la première usine d’alumine d’Afrique. Construite à partir de 1957, sa gestion fut confiée au groupe industriel Péchiney, parti en 1997. En 2006, elle passe aux mains du géant russe de l’aluminium RusAl. La production d’alumine, une poudre blanche qui ressemble à de la farine, est un procédé intermédiaire de transformation de la bauxite en aluminium. Le minerai brut est broyé puis attaqué avec une liqueur de soude, à haute température et sous pression.
Les déchets, composés notamment d’oxyde de fer, de métaux lourds et de résidus de soude, forment les boues rouges. Longtemps déversées dans le Konkouré, fleuve de 300 km qui se jette de l’Atlantique, elles sont stockées depuis une trentaine d’années dans des barrages. Trois réservoirs successifs ont été mis en place dans des vallées. Mais depuis le redémarrage de l’usine en 2018, après 6 ans d’interruption, la quantité de boues rouges ne cesse de s’amplifier. Environ 2000 tonnes d’alumine sont produites chaque jour, ce qui génère le double de déchets et augmente la quantité de soude qui, bien que filtrée, se déverse dans les cours d’eau.
Autre inquiétude, les retombées de poussières d’alumine dans la ville édifiée à proximité de l’usine. Une inspection du Laboratoire d’analyses environnementales, à la mi-novembre 2019, révélait des taux de particules fines PM 10 et PM 2,5 (d’un diamètre inférieur à 10 ou 2,5 micromètres) excessifs par rapport aux normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Avec Maurice Tolno Tamba, chef section à la direction préfectorale de l’Environnement, des Eaux et Forêts de la préfecture de Fria, et El Hadj Sékou Fabrice Condé, retraité de l’usine.

Par franceinter.fr

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