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Guinée/Enquête : le député de Kérouané et le maire de Banankoro au cœur d’un scandale sur une redevance minière

Un duel  oppose l’ancien maire au député de la localité sur les taxes relatives  au chiffre d’affaires  à Banankoro (sous-préfecture de Kérouané). La gestion des redevances issues du  chiffre d’affaire payées par la société Guitter Mining SA en 2016 et 2017  à la commune rurale de Banankoro continue de défrayer la chronique entre le député natif de la localité Bangaly Kourouma et l’ancien maire Mamoudou Sanoh.  Chacun pointe un doigt accusateur sur l’autre pour « détournement, intox ou manipulation ». Chacun crie au scandale, les villageois s’en mêlent et l’affaire est au niveau de la justice.

Genèse du problème

Chaque année la société, Guitter mining paye des taxes sur le chiffre d’affaires  à la commune rurale de Banankoro. De 2010 à 2015, tout allait bien. C’est seulement à partir de 2016 que ladite taxe, estimée à cent dix millions six cent mille francs guinéens (110.600.000 GNF) a connu une soustraction de la part du député Bangaly Kourouma, selon le receveur communal. Le montant soustrait à partir de Conakry, est estimé à 29 millions 600 mille  francs guinéens. Ainsi, 81 millions GNF restant sur le montant global devrait être orienté pour la réalisation d’une infrastructure dans le district de Sirignardou (un des districts impactés par l’exploitation du Diamant, NDLR). La commune dit avoir utilisé cet argent pour rénover une école et les communautés crient au scandale.

Le ping-pong !

L’ex maire de Banankoro dit ne pas comprendre pourquoi le député a soustrait l’argent qui devrait être déposé à la commune.  Sous prétexte qu’il va payer le salaire du personnel du poste de santé de Sirignardou qui est pourtant sous le commandement de la commune rurale de Banankoro.

« … Guitter nous a envoyé un reçu en disant que nous avons donné 29 millions au député à votre compte. Nous les avons dit qu’on ne peut pas comptabiliser ça dans notre budget. On ne mentionne que ce qu’on a reçu au compte de la commune», a-t-il expliqué.

Aujourd’hui, Mamoudou Sanoh accuse le député  d’avoir instrumentalisé les citoyens de Sirignardou pour lui traîner en justice. Ce, pour couvrir ‘’ses arrières’’.

« Au lieu de chanter mon nom ou celui de la commune en disant que le maire a bouffé tel ou tel montant, le député Kourouma est allé intoxiquer les habitants de Sirignardou en leur disant que le maire ne devrait pas utiliser les 81 millions de francs dans la rénovation de leur école. Il leur a dit que le maire devrait leur remettre ce montant en espèce pour qu’ils l’utilisent à leur guise », a relaté l’ancien maire, Mamoudou Sanoh.

Pour se défendre, il dit n’avoir pas vu cet argent. Le chèque, précise Mamoudou Sanoh, a été viré dans le compte de la commune qui est supervisé par le PACV (programme d’appui aux communautés villageoises). L’entrepreneur et l’ingénieur conseil ont été payés par virement à la fin des travaux par le receveur communal. « Ceux qui ont besoin d’information sur la gestion des taxes doivent venir chez le secrétaire communal pour vérifier les dossiers.  Tout ça est une façon pour lui de se tailler une place ici. Parce que bientôt l’organisation des élections législatives, et le député pense que le maire Sanoh constitue le point d’achoppement pour sa réélection. Sachant que nous étions les deux candidats pour le même poste de député de la localité en 2013 et il a été choisi par le parti (RPG) à travers certains de ses proches au bureau politique national. Il veut juste me salir », ajoute-t-il.

Pour étayer sa thèse, l’ex maire affirme que le député Kourouma a même envoyé des journalistes à Banankoro à ses frais afin de lui mettre au-devant de la scène. Après investigation, les journalistes ont trouvé qu’il n’y a rien à dire. Donc l’élément n’est pas passé. «Le député a aussi dit à la direction nationale des mines que j’ai détourné l’argent des taxes, et qu’elle enverra une équipe pour vérifier. Il a demandé aux villageois de porter plainte contre moi et non contre la commune qui a géré l’argent. Ils ont déposé une plainte contre moi à la justice de paix de Kérouané sans même informer le préfet. Ensuite, ils sont allés à Kankan pour porter plainte contre la commune. Et pourtant je les ai dits de  vérifier les documents et faire une comparaison avec l’infrastructure. Tout ça pour salir le maire et son équipe afin de les écarter de la gestion des affaires de la commune. »

Interrogé, pour sa version des faits, le député Bangaly Kourouma, estime que le maire  qui a utilisé le montant de 81. 000. 000 GNF dans la rénovation de l’école a gonflé le montant pour en bénéficier. Il estime que c’est aux habitants de Sirignardou de décider de l’utilisation de leur argent.

A la question de savoir pourquoi il a demandé une avance sur le chiffre d’affaire de Guitter, l’élu a expliqué en ces termes :  « en 2016, les travailleurs du poste de santé de Tinsinkoro ont fait 11 mois sans salaires, c’est ce qui a fait que je suis venu vers la société Guiter Mining à Conakry pour lui demander de nous faire une avance sur le chiffre d’affaire qu’elle va payer à Banankoro. Sinon, les infirmiers risquent d’abandonner le poste de santé au grand dam des patients. Kaba m’a donné son accord en me demandant de faire un calcul. Le total des salaires a fait 29 600 000 GNF. J’ai reçu et transféré l’argent aux agents après avoir écrit un engagement à Kaba Guiter ».

Il a souligné aussi que lors du versement de la taxe, la société lui a dit qu’elle va faire le cumul des exercices 2016-2017 et la remise a été faite à la commune de Banankoro. D’après lui, lors du payement, la mairie n’a pas accepté que les 29 600 000 GNF soient défalqués du montant que Guitter devait payer. Donc poursuit-il, les 81 316 177 FNG ont  été officiellement payé à la commune, sans aucune déduction.

Pour le député, le grand problème, c’est le fait que les 81 316 177 GNF ont été détournés par la mairie. « Le maire a mangé l’argent et il m’accuse d’avoir instrumentalisé les habitants de Sirignardou et pourtant j’étais dans l’équipe qui les a sensibilisé quand ils se sont soulevés pour brûler les installations de Guitter comme ils n’ont pas reçu leur argent. Le sous-préfet, le commandant de la gendarmerie de Gbenko et moi-même sommes parvenus à les canaliser », soutient-il.

Comment le dossier est arrivé devant la justice ?

« C’est ainsi qu’il a été convenu de porter plainte contre le maire à la justice pour le détournement de 81 316 177 GNF. C’est ce qui fut fait, la communauté a porté plainte contre le maire à Kérouané et il a été convoqué et entendu. Mais la corruption aidant, le préfet après avoir reçu le compte rendu sur l’affaire de la part du juge de paix de Kérouané, il a demandé au juge de libérer M. le maire et lui-même va s’occuper du problème pour comprendre comment les 81 millions ont été utilisés. J’ai appelé le préfet et le juge de paix de Kérouané pour demander pourquoi ils interfèrent dans les affaires  judiciaires », avance M. Kourouma.

Il laisse entendre que c’est après cette action que Guitter qui a demandé finalement aux communautés de transférer le dossier au tribunal de Kankan, parce qu’elle ne va pas payer deux fois la même taxe. « Ce n’est pas moi qui ai porté plainte contre le maire Sanoh, mais les habitants du district de Sirignardou pour corruption », rassure l’honorable Bangaly Kourouma.

Sur le sujet, Sidiki 2 Camara, receveur communal de Banankoro parle de l’intox. Il se demande comment un fonds destiné au développement de la collectivité peut être reversé en espèce à un district donné. Comment peut-on justifier ça ? « Je n’ai jamais vu ça de ma vie », précise-t-il.

Pour lui, la taxe sur le chiffre d’affaires de Guitter à Banankoro est attribuée par année aux trois districts les plus touchés, notamment Kalamano Massando, Tinsinkoro et Sirignardou. Et ce n’est souvent pas la commune seule qui décide de l’infrastructure à réaliser. C’est le district bénéficiaire qui va proposer 3 infrastructures et la commune va choisir une en fonction du montant que Guitter va donner.

« Il faut faire des sensibilisations pour faire comprendre aux communautés que cet argent n’est pas à partager entre individus. Mais plutôt, destiné à la réalisation des infrastructures au bénéfice de tous », conseille le receveur.

La version des habitants

Les habitants du district de Sirignardou estiment que le maire sortant, Mamoudou Sanoh a fait une opération ‘’tape à l’œil’’.

Doumba Sanoh, président du district de Sirignardou explique les faits :«après avoir reçu l’argent, le maire et son équipe sont venus construire une latrine et  peindre une école que j’ai moi-même construite depuis 22 ans,  sans nous dire que c’est notre argent qu’il a utilisé. Mais cela ne reflète pas du tout les 81 millions. Quand nous avons posé la question au maire, il dit qu’il a déjà utilisé les 81 millions pour faire la peinture et qu’on peut aller où on veut. Parce qu’il n’a pas peur. C’est ainsi que je suis parti me plaindre chez les sages de la localité, mais en vain. Nous sommes ensuite partis dire à Guitter que nous n’avons pas reçu l’argent de la taxe destiné à Sirignardou cette année. Et nous avons menacé d’arrêter les travaux de Guitter si toutefois nous ne recevons pas notre argent ».

En ce moment dit-il, le sous-préfet et le député Bangaly Kourouma ont fait savoir que la société a payé ce qu’elle devait payer, c’est à la mairie de Banankoro d’en faire une bonne gestion. « Mais la pression des habitants nous a obligé d’aller chez le juge de paix de Kérouané. Malheureusement sous l’influence du préfet et du juge, ils ont bâclé l’affaire. C’est ainsi que la population s’est de nouveau révoltée pour dire tant que l’argent n’est pas payé, il n’y aura aucune activité  sur leur domaine. C’est ainsi que nous avons transféré l’affaire à Kankan, avec le soutien de Guitter depuis plus d’un mois, mais jusqu’à présent nous n’avons pas reçu notre argent. Mais le député n’a rien à voir dedans », affirme le responsable.

Malgré l’arrêt de la procédure judiciaire, les citoyens de Sirignardou restent déterminés de défendre leurs intérêts jusqu’ils aient une vision claire sur la destinée de l’argent. Au cas où, ils vont empêcher la société d’exploiter le diamant, confie le chef de district.

La position laconique de Guiter

La direction de Guitter mining basée à Banankoro dit que ce n’est pas elle qui a donné les 29. 600 .000 GNF au député, mais celle de Conakry. Sur les 81 millions, la société dit ne pas vouloir se mêler de la  gestion des fonds, mais elle a quand même appuyé les communautés en payant les frais dans la procédure judiciaire contre le maire. Tout simplement parce que ses installations sont menacées si les villageois ne récupèrent pas leur argent.

Sur le versement du montant de 29 millions 600 mille des taxes sur le chiffre d’affaire donné au député, Mamadou Lamine Condé, responsable de relations communautaires de Guiter fait comprendre que c’est sa direction générale qui l’a fait depuis Conakry.

Quant à la gestion du montant versé pour les communautés, le responsable de relations communautaires de Guitter, dit que le chèque de 81 millions a été donné à la commune pour le district de Sirignardou qui était concerné. Mais ça n’a pas été bien utilisé.

« La mairie a détourné l’argent, et les populations de Sirignardou se sont soulevées pour bloquer les travaux de la société. Nous nous sommes rendus sur le terrain pour les dire que la société s’est acquittée de ses devoirs, c’est à la commune de prendre ses responsabilités. On a fait les enquêtes qui ont prouvé que c’est le Maire qui avait détourné les  81 000 000 GNF. Mais les communautés ont insisté pour dire comme c’est la société qui a payé les montants, alors de récupérer l’argent pour le leur donner. Nous étions obligés encore de prendre les frais de la justice à hauteur de 15 millions GNF. Nous sommes à la justice avec le Maire de Banankoro. Nous étions partis à Kérouané, ça n’a pas marché et l’affaire est maintenant à la justice de Kankan », annonce le responsable.

Pour lui, c’est la société qui est en train d’aider les habitants de Sirignardou dans  la procédure judiciaire pour voir s’ils peuvent récupérer leur argent. On aide ces communautés à récupérer leur argent parce qu’elles n’ont pas les moyens.

Ce que dit la loi :

La gestion des redevances minières au profit des communautés pose toujours problème en Guinée. La gestion des fonds confiée aux élus locaux n’est pas à la satisfaction des citoyens qui vivent pourtant les séquelles de l’exploitation. Le code minier amendé en 2013 demande à ce que les redevances soient versés au niveau du FODEL et gérer par le comité de gestion du FODEL. Malgré le décret de création du FODEL et l’arrêté conjoint portant sur sa gestion, l’élaboration et la vulgarisation de son manuel de procédure ainsi que la mise en place effective du FODEL sont attendu. D’ici là, les populations des zones minières doivent prendre leur mal en patience.

Et pourtant sur les relations entre les exploitants et les communautés locales, le code minier en son article 130 dit « (…..) que le montant de la Contribution au Développement Local, contribution financière du titulaire d’un Titre d’exploitation minière au développement de la Communauté locale, est fixé à zéro virgule cinq pour cent (0,5%) du chiffre d’affaires de la société réalisé sur le Titre minier de la zone pour les substances minières de catégorie 1 et à un pour cent (1%) pour les autres substances minières.

Il est créé un Fonds de Développement Local (FDL) qui sera alimenté par cette Contribution au Développement Local du titulaire du Titre minier dès la Date de première production commerciale. Les modalités d’utilisation de cette Contribution au Développement Local et les règles de fonctionnement et de gestion du Fonds de Développement Local, sont définies par un décret du Président de la République ».

Et le décret No /2017/285 /PRG/SGG du 31 octobre 2017, portant modalités de constitution et de gestion du fonds de développement économique local (FODEL) est très clair. Dans son article 1, la décision présidentielle précise que « le fonds de développement économique local (FODEL) vise à promouvoir le développement des collectivités locales abritant les sites d’exploitation minière et les collectivités voisines. Il est destiné à soutenir la réalisation d’infrastructures de base, des activités génératrices d’emplois et de revenus ainsi que d’autres activités de développement prévues dans les plans de développement local des collectivités concernées. Le fonds représente l’effort statutaire dû aux communautés au titre de l’exploitation minière en République de Guinée. Article7 : la gestion des ressources allouées aux collectivités locales par le FODEL relève de leur strict ressort. Un comité d’Appui à la gestion du FODEL sera créé à cet effet.

Sur papier la loi existe, mais dans la pratique non. Jusqu’à présent, le FODEL n’est pas encore crée encore moins son comité de gestion. Les autorités à la base utilisent des procédures propres aux localités pour gérer les nombreux fonds versés aux collectivités par les sociétés extractives qui évoluent dans leurs zones. Mais jusqu’à présent, les résultats concrets sont de moins en moins visibles sur le terrain.La non mise en place des nouveaux élus locaux aggrave encore la situation.

Malgré le fait que plusieurs entreprises minières exploitent les ressources en Guinée, les populations riveraines des sites d’exploitation baignent encore dans une pauvreté accrue. Et la mauvaise gestion des revenus issus du secteur par les autorités à tous les niveaux en est la principale cause.

 

Mamadou Oury Bah, Aliou BM Diallo et Mamoudou Condé

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