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Guinée : de la corruption morale

Tribune.  « Les nouveaux riches sont comme la bière-pression : tirée en un instant, mais avec plus de mousse que la bière », disait Mia Couto, écrivain mozambicain.  Nos nouveaux riches, ceux-là  qui, par arrivisme se voient changer de classe sociale, de conditions de vie, ne créent  ni richesse ni emplois, ils profitent de la sueur des autres : du peuple et de ses caisses.

Ils portent des vestes sur mesure, boivent de la bière glacée, mangent des pommes de terre farcies, sont dodus  alors qu’il y a peu étaient décharnés et l’on pouvait voir leur clavicule en raison de leur  panade. Aujourd’hui, ils  voyagent avec les filles les plus fraiches et habitent à chaque voyage  qu’ils effectuent   dans les cinq étoiles. Ils ne peuvent exprimer quelques  brides d’idées sans qu’ils ne prononcent  le nom et louent celui-là  qui leur a donné la possibilité de sortir de là : du dénuement qui frappe les compétents et honnêtes. Ils servent ce dernier, leur maître, lequel à leur avis ne se trompe pas, il est droit quand il parle et nulle ne peut le redresser, il  doit avoir la paternité de tout. Ces nouveaux riches, sont enviés des jeunes, les belles jeunes filles apprécient leur générosité.

Ils ne manquent non plus pas l’occasion de signifier leur gratitude à la providence qu’ils ont arrêté d’adorer depuis qu’ils sont sortis de la mélasse. « Jeunes, mangeons, ceci n’est qu’un  bienfait de la providence », disent-ils quand ils doivent exécuter les sacrifices des vendeurs de grâces divines qu’ils ne cessent de côtoyer. D’aucuns, ne manquent pas l’occasion de faire de leur foyer des lieux de restaurations publiques, ils y invitent le quartier tout entier : jeunes et vieilles, hommes et femmes, à venir y déjeuner et dîner. C’est leur façon d’exprimer leur générosité !  D’autres sont condescendants, ils ne parlent plus aux autres, ils ne les écoutent plus.  Seule la disgrâce les ouvrira les yeux à la réalité, alors, ils deviendront opposants ou commenceront à les côtoyer. Plus tard, ce sont eux qui se reconvertiront à la démocratie et qui regretteront le retard du pays. Quelle maladie !

Ces nouveaux riches le savent bien, ils doivent leur réussite matérielle à la servilité politique qui leur a permis de devenir pontes de l’Etat et d’accéder à la rente. Ils le savent bien et plus que n’importe qui : « Ici la compétence et le sens de l’Etat comptent peu, il faut être un dithyrambique ». Ils s’en moquent de l’image qu’ils renvoient dès lors qu’ils croient marcher droit. Pourtant, ils transmettent sans le savoir,  aux membres de la société, les plus jeunes, des  valeurs qui créent un habitus. Nul besoin de souffrir, d’étudier  pour réussir quand les raccourcis existent et conduisent au meilleur résultat. Il ne faut pas chercher à mériter sa vie là où le mérite n’a pas de sens.

Cette absence de référentielles normatives et morales fait sombrer  la jeunesse dans la quête effrénée de la rente, dans la cupidité la plus abjecte. Ainsi, chacun veut  être membre d’un parti politique et se faire défenseur hargneux de son président, candidat à vie, fondateur du parti ou désigné par une groupie. Cette dispendieuse prévarication conduit à la dépravation de nos mœurs déjà trop faibles, à la banalisation de la corruption et pis, à l’incitation à celle des idées. Ainsi, les familles, elles-mêmes, incitent leurs fils à tirer parti, mais illégalement de leur fonction, à faire employer l’un de leur, à maximiser les intérêts de son groupe social ou de ceux portant son patronyme.

Nul développement ne peut jaillir d’un tel environnement où nulle ne veut vivre à la sueur de son front, où chacun entrevoit de devenir milliardaire, mais en allant chercher ces sommes astronomiques dans les caisses de l’Etat.  Un environnement où chacun veut être l’autre, et refuse d’être ce qu’il est.

Nos valeurs sont décadentes, le pilleur est devenu la star acclamée de tous, le véridique est une victime, il est plaint, il est maudit. On applaudit les voleurs, les vrais criminels et punit les voleurs à l’étalage, les laissés-pour-compte, ceux-là appelés de mille façons : « mafdoun » en Egypte, « Ohiabrubro » au Ghana , « endekarak tadah » en Indonésie, « miseraveis » au Brésil, « Bomzhi » en Russie, « ghrino gorib » au Bangladesh, «  Osaukitsits ».  Je les appelle : les malades dont personne ne s’occupe, les enterrés vivants, les méprisés de tous.

 

Ibrahima SANOH

Citoyen

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