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G 20 : arrêter l’aide publique à l’Afrique !

L’Afrique a trop attendu. Elle a aussi trop entendu. A vouloir tendre la sébile, sans discontinuité et pour tout ou rien, vous finirez par voir et entendre des choses blessantes et désopilantes.  Maintenant, ça suffit. L’heure de la responsabilité a sonné. Personne – aucun des 3 M, Marshall, Merkel ou Macron – ne sauvera l’Afrique à la place des Africains. Tenaillée entre peur et espoir, ballotée entre braconniers de grand chemin et garde-forestiers en petite forme, l’Afrique est à l’image de ses éléphants. Dans quelques années, si rien de concret et de durable n’est fait par les Africains pour se sauver du non-développement, leur continent disparaitra dans sa forme actuelle. Puissances du monde, arrêtez l’aide publique à l’Afrique… et aussi mettez un terme à la fuite des capitaux en provenance de l’Afrique vers vos pays !

Afrique vs Histoire

Le 26 juillet 2007, devant un parterre d’étudiants, d’enseignants et de personnalités politiques réunis à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, Nicolas Paul Stéphane Sarközy de Nagy-Bocsa en sa qualité de chef de l’Etat français a prononcé une allocution très controversée, connue sous le nom de “Discours de Dakar”. Voici un extrait de son intervention : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. (…) Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. (…) Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. (…) Le problème de l’Afrique et permettez à un ami de l’Afrique de le dire, il est là. » Quelle humiliation pour l’Afrique ! Le 6 avril 2009, sa compatriote et adversaire politique Ségolène Royal déclara à Dakar : « quelqu’un est venu ici vous dire que “l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire”. Pardon pour ces paroles humiliantes et qui n’auraient jamais dû être prononcées et qui n’engagent pas la France. » En octobre 2012, François Hollande, lors de sa première sortie sur le continent africain comme président de la République française avait célébré l’Afrique comme le « berceau de l’humanité » avant de déclarer : « Je ne suis pas venu en Afrique pour imposer un exemple, ni pour délivrer des leçons de morale. Je considère les Africains comme des partenaires et des amis. L’amitié crée des devoirs, le premier d’entre eux est la sincérité. Nous devons tous nous dire, sans ingérence mais avec exigence. »

Afrique vs Civilisation

A une décennie de longueur de la déclaration polémique de Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron, fraîchement élu président de la République française remet le couvert. Lui, ancien assistant éditorial du philosophe Paul Ricoeur, écrivait en incipit de La lumière blanche du passé : « Les liens entre histoire et mémoire sont par origine subtiles et intimes » En marge du sommet du G 20 à Hambourg (Allemagne) le 8 juillet 2017, le chef de l’Etat français, interrogé sur « un plan Marshall » en faveur de l’Afrique, s’est lâché : « Le défi de l’Afrique, il est totalement différent. Il est beaucoup plus profond, il est civilisationnel aujourd’hui. Quels sont les problèmes en Afrique ? Les États faillis, les transitions démocratiques complexes, la transition démographique qui est, je l’ai rappelé ce matin, l’un des défis essentiels de l’Afrique. » Ne pouvant résister à l’attraction d’une image forte, le président français s’est attaqué au « ventre des femmes africaines » – l’expression est du journal français Libération : « Quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». C’était déjà assez pour que les réseaux s’enflamment et que les médias s’entremêlent. La Toile gloutonne d’articles et de commentaires épais et épicés.

Au-delà de la singularité du propos, décryptons les deux termes polémiques qui l’irradient : la « civilisation » et la « fécondité ».

S’agissant de la démographie, relevons quelques inexactitudes dans les propos du chef de l’Etat français. D’abord, le chiffre indiqué par Emmanuel Macron sur le taux de fertilité en Afrique n’est pas exact. Trois jours après ses affirmations, se tenait la conférence internationale sur le contrôle des naissances, Family Planning 2020, à Londres. L’information, déjà corroborée par plusieurs sources crédibles (ONU, Banque Mondiale, etc.), indiquait que le taux de fécondité moyen en Afrique est de 4,7 enfants par femme. Le seul pays qui dépasse la barre de 7 enfants par femme est le Niger (7,6). Viennent ensuite la Somalie (6,4) puis le Mali (6,1). Certains pays africains affichent des taux proches de celui de la France (2), comme par exemple le Maroc, la Tunisie et l’Afrique du Sud (2,4) ou encore le Botswana (2,8). Maurice a le ratio le plus bas du continent avec 1,4 enfant par femme, bien en dessous de la moyenne sur le Vieux Continent (1,6). En réalité, la tendance est globalement à la baisse sur le continent. Selon une étude récente de l’ONG Population Reference Bureau, en 1950 les femmes africaines avaient 6,5 enfants en moyenne contre 4,7 aujourd’hui.

Alors, d’où vient le chiffre de 7 à 8 enfants par femme avancé par Emmanuel Macron ? Quelle est la source ? Un président de la République française dispose qu’à même de tous les moyens nécessaires pour s’informer avant de donner des informations en public, d’autant qu’il n’était nullement obligé, pour asseoir son argumentaire, d’avancer des chiffres.

Ensuite, le boom démographique est-il un atout ou un handicap pour le développement ? Beaucoup de scientifiques s’accordent à dire qu’il est hasardeux d’en tirer une conclusion hâtive, tant l’histoire économique recèle d’exemples qui peuvent confirmer ou infirmer telle ou telle position. Voici ce que le mentor et prédécesseur de Emmanuel Macron, François Hollande disait à Dakar le 12 octobre 2012 : « L’Afrique est portée par une dynamique démographique sans précédent : la population au sud du Sahara doublera en l’espace de quarante ans –pour atteindre près de 2 milliards de femmes et d’hommes en 2050. Le nombre d’habitants aura été multiplié par dix en un siècle : c’est un changement sans équivalent dans l’histoire humaine. L’Afrique est la jeunesse du monde. » Le débat sur le dividende et la transition démographiques est donc loin d’être tranché. Il n’y a pas de chemin universel. Pour notre part, nous ramenons le raisonnement à deux variables socio-économiques : la production et sa répartition. La production est-elle suffisante, en quantité et en qualité, pour répondre aux besoins de la population et de l’économie ? La répartition de la richesse ainsi produite est-elle équitable ?

 L’Afrique est-elle confrontée à un défi civilisationnel ?

Le premier à utiliser le terme « civilisation » est le marquis de Mirabeau Victor de Riqueti qui écrivait en 1756, dans son ouvrage L’Ami des Hommes ou Traité de la population que « la religion est sans contredit le premier et le plus utile frein de l’humanité : c’est le premier ressort de la civilisation ». Faut-il comprendre dans l’usage de « défi civilisationnel » un lien avec le « fondamentalisme violent » et le « terrorisme islamiste » ? L’histoire retient aussi que les motivations des concepteurs et des promoteurs de l’esclavage et de la colonisation étaient de « civiliser » les populations « indigènes » d’Afrique. Cette « vision hiérarchique et évolutionniste » de la civilisation est-elle toujours d’actualité ? Après avoir subie plusieurs siècles de domination, de soumission et d’humiliation de toutes sortes, l’Afrique a-t-elle besoin d’une nouvelle « barbarie » pour relever le défi civilisationnel ?

Lors de la campagne présidentielle française, Emmanuel Macron en visite en Algérie avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ». Face à la désapprobation d’une bonne partie de son opinion publique, il a vite fait de clarifier sa position : « Je ne suis ni dans la culpabilisation, ni dans la dramatisation ». Dans un long entretien accordé à la revue mensuelle L’Histoire en mars 2017, il a tenu à préciser : « Il n’est pas de France sans influences italiennes, espagnoles, anglaises, allemandes, et plus tard orientales, maghrébines, africaines, américaines, asiatiques… Notre culture s’honore d’être le fruit de ce syncrétisme, c’est pourquoi j’ai dit qu’il n’y avait pas une culture française. » Comment celui qui s’est permis une telle assertion peut-il affirmer que l’Afrique a un problème civilisationnel. La France qui s’inspire de la culture africaine a-t-elle aussi un défi civilisationnel a relevé ? Pourtant, dans la même interview, le candidat Macron d’alors s’était voulu rassurant par rapport aux critiques de ses opposants sur sa prétendue inculture historique. « Lorsqu’on aspire à diriger une des plus grandes puissances du monde, il n’est pas permis d’en ignorer l’histoire, et plus largement l’histoire du monde », disait-il.

 

Que recouvre le terme « civilisation » pour Emmanuel Macron ?

Ne pouvant accéder à sa hauteur pour lui poser cette question, nous allons interroger ses déclarations publiées sur la Toile. Dans une interview accordée au magazine Le Point en novembre 2016, il déclarait : « Oui, en Algérie, il y a eu la torture, mais aussi l’émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes, c’est la réalité de la colonisation. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie. » Une phrase qui lui avait valu de nombreuses critiques. » La suite, on la connait. Trois mois plus tard, en terre algérienne, il faisait un virage à 180 degrés. Donc, si on se limitait à ce schème (ce qui, bien que réducteur, est révélateur), un pays est dit « civilisé » lorsqu’il y a « émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes ». N’est-ce pas simpliste de ramener la « civilisation » à la simple expression de ces indicateurs ?

Dans son ouvrage « Les équivoques de la civilisation », le professeur Bertrand Binoche, spécialiste d’histoire de la philosophie moderne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, rappelait l’historique du concept : « La civilisation c’est le processus typique en vertu duquel les nations s’arrachent graduellement à l’état de sauvagerie. » En 1798, rappelle le Pr. Binoche, la cinquième édition du Dictionnaire de l’Académie française distingue nettement le processus d’avec le résultat : « Civilisation, action de civiliser, ou état de ce qui est civilisé. »

Nous ne pensons pas – et beaucoup d’études scientifiques le prouvent – que l’Afrique ait besoin de recevoir des leçons de civilisation, encore moins de relever un « défi civilisationnel ». Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, dans un style très fleuri, a l’habitude de dire que « nous fumes lorsque beaucoup n’étaient pas encore ». Il a raison de le dire et d’y insister.

Vous avez dit trafics ?

En décrivant la situation de l’Afrique, Emmanuel Macron a fait allusion aux multiples trafics qui phosphorent sur le continent, dont le trafic d’êtres humains. Il n’a pas tort. Et, il a même raison de dénoncer vertement ces pratiques barbares. Mais, feuilletons ensemble les pages sombres de notre histoire commune. Qui étaient les négriers qui manœuvraient à l’époque et qui avaient dessiné le chemin du commerce triangulaire, emprunté aujourd’hui sous une autre forme par les « passeurs mafieux » ? Pourtant, en terre française, l’esclavagisme fut aboli le 3 juillet 1315 par un édit du roi de France Louis X le Hutin. Comment expliquer, deux siècles plus tard, l’exportation de ce modèle en terres africaines ? Durant la traite négrière, l’Afrique a été victime d’une saignée démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. En quatre siècles (entre 1500 et 1900), selon le Think-Tank L’Afrique des idées, la part du continent dans la population mondiale est passée de 17% à 7%. Selon l’historien Olivier Pétré-Grenouilleau (Les traites négrières, Essai d’histoire globale, 2004), il y a eu 28 millions de captifs africains vendus (dont 11 millions imputables à la traite occidentale). Le théoricien américain W.E.B. Dubois estime qu’il faut compter en moyenne 4 victimes collatérales (décès, suicides, etc.) pour 1 esclave vendu. Avec la prise en compte de ce facteur, le décompte macabre des pertes humaines de l’Afrique se chiffrerait à plus de 100 millions de personnes durant la période, presque l’essentiel de ses bras valides. Parlant toujours de trafics, Emmanuel Macron dénonce le trafic de biens culturels. Là aussi, il a raison. Nous allons nous faire écho de la demande du Bénin qui a été adressée à la France le 26 août 2016 pour la restitution d’une importante quantité de biens culturels (trônes, statues et bijoux) pillés, enlevés pendant la colonisation du Dahomey (actuel Bénin) en 1892 et acheminés vers la métropole. Il s’agit de 4 500 à 6 000 objets béninois de grande valeur « culturelle et spirituelle » aujourd’hui exposés dans plusieurs musées français, dont principalement le célèbre Musée du quai Branly à Paris. La France a opposé un niet catégorique à la requête béninoise. « Les biens que vous évoquez ont été intégrés de longue date, parfois depuis plus d’un siècle, au domaine public mobilier de l’Etat français », peut-on lire dans un courrier officiel daté du 12 décembre 2016 adressé par le ministre français des Affaires étrangères à son homologue béninois. Le gouvernement français conclut : « Conformément à la législation en vigueur, ils sont soumis aux principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité. En conséquence, leur restitution n’est pas possible. » Un collectif de députés français et béninois, ralliés par les rois du Bénin, a aussi lancé une pétition sans succès.

Pour rester dans l’air du temps, ces joyaux royaux du peuple béninois sont-ils des « biens mal acquis » de la France ?

Qu’en est-il du plan Marshall pour « sauver » l’Afrique ?

Personne ne sauvera l’Afrique à la place des Africains. Ce n’est pas une prédication. C’est une certitude. Cependant, il faut rétablir certaines vérités historiques. Elles sont de deux ordres.

D’une part, le plan de reconstruction en faveur de l’Europe au sortir de la Seconde Guerre mondiale, pensée et annoncée le 5 juin 1947 par le Secrétaire d’Etat américain George C Marshall portait sur 13 milliards de dollars soit 1,35% du PIB des Etats-Unis sur cinq ans (environ 130 milliards de dollars d’aujourd’hui, l’équivalent du budget actuel du département américain de l’agriculture). Les fonds étaient destinés à l’achat de nourriture, de carburant, de matériels et d’équipements pour secourir les populations européennes et rétablir l’infrastructure industrielle détruite durant la Guerre. Cette aide américaine était liée : les biens ont été, pour l’essentiel, achetés aux Etats-Unis. A ce niveau, il faut préciser que le plan Marshall n’a représenté que 3% du PIB de la zone Europe. Si on se réfère à ce quantum, beaucoup de pays africains bénéficient chaque année du « Plan Marshall ». Selon les données 2015 de la Banque Mondiale, l’aide publique au développement (APD) exprimé en pourcentage du Revenu National Brut (RNB) a représenté 3% pour l’Afrique subsaharienne, 4,7 % pour les Pays les moins avancés (PMA) et 6,1% pour les Pays pauvres très endettés (PPTE). Pour être encore plus précis, plusieurs pays africains ont reçu pendant la seule année 2015 l’équivalent de 2 à 20 Plan Marshall : Sénégal 6,6% ; Burkina 9,2% ; Mali 9,7% ; Gambie et Burundi 11,9% ; Niger 12,2% ; Mozambique 12,5% ; Malawi 16,9% ; Soudan du sud 21,1% ; Sierra Leone 22,6% ; Somalie 23% ; Centrafrique 30,6% ; Libéria 62,4%. Pour autant, dans beaucoup de ces pays, les résultats ne sont visibles qu’au microscope. Là aussi Emmanuel Macron a raison.

Alors de quel Plan Marshall parle-ton pour l’Afrique ? En vérité, l’Afrique a besoin d’un « Plan Afrique », conçu, financé et mis en œuvre par les Africains. Nous l’avons suffisamment développé dans nos précédents écrits.

 

D’autre part, il faut clarifier la contribution de l’Afrique à la reconstruction de l’Europe, particulièrement à celle de la France. C’est vrai que ce pays, avec 23% des aides reçues du Plan Marshall, se classe en deuxième position parmi les 17 Etats européens qui ont bénéficié de la générosité américaine. Mais, il y a un détail qui est rarement rappelé, et qui est même sciemment omis par les historiens. Combien de gens savent que la France, apeurée et tétanisée par l’envahisseur allemand, est venue en grande pompe et à toute pompe, confier au continent africain, au Maroc puis au Sénégal et enfin à Kayes, une ville modeste de l’ex-Soudan (actuel Mali), la garde de 1 100 tonnes d’or, presque la moitié de son stock d’or (10 % des réserves d’or des banques centrales du monde à l’époque, l’équivalent de 30 fois le niveau actuel des réserves d’or des huit pays de l’UMOA réunis). Le 26 août 1944 quand le général de Gaulle descendait, fièrement et triomphalement, l’avenue des Champs-Élysées, les caves de la « Souterraine » à la Banque de France étaient désespérément vides. La France était libre mais elle était essorée par quatre ans de conflit meurtrier (541 000 morts dont 330 000 pertes civiles), avec des dégâts matériels et financiers considérables. Selon les historiens, plus d’un million de ménages français (sur 12,5 millions) étaient sans abri, des villes entières avaient été rasées (dont Brest le port d’embarquement de l’or en direction du continent africain). C’est dire combien la situation sociale, économique et financière du pays était difficile, presque désespérée. Qu’aurait été la France, sa reconstruction post-guerre et pré-plan Marshall (intervenu trois longues années après la fin des hostilités), sans la disponibilité de ces 1 100 tonnes d’or ? Que serait devenu, aujourd’hui, le système bancaire français sans l’aide inestimable des « indigènes » africains, ces valeureux et téméraires « tirailleurs sénégalais », aux torses nus et aux bras valides, extrêmement « attachés à la consigne », pour protéger et sécuriser le patrimoine aurifère du peuple français si convoité par l’Allemagne nazie ? Pour le directeur général honoraire de la Banque de France, Didier Bruneel, l’or rapatrié a été vital pour l’économie française. « Il a été utilisé pour la reconstruction du pays, et a servi à la soudure jusqu’à la mise en place en 1948 du plan Marshall », a souligné le conseiller auprès du Gouverneur de la Banque de France pour les questions historiques. Comment comprendre, aujourd’hui, que les dirigeants de l’UMOA puissent faire le chemin inverse en confiant la garde de leurs réserves d’or à la France ? Sommes-nous, à notre tour, sous la menace d’une « armée d’occupation » ?

Ces questions irritantes, et bien d’autres, les Africains continuent à se les poser. Sans en faire une fixation ni de verser dans l’océan émotionnel. Oui l’esclavage a existé, oui la colonisation a existé, avec sa cohorte de crimes abominables, cela fait plus d’un demi-siècle qu’on les dénonce, qu’on impute nos malheurs à ces fléaux. Faut-il continuer à maudire l’obscurité ou doit-on allumer une bougie ? Dénoncer les méandres du passé n’améliore pas le présent encore moins ne présage d’un futur radieux. Comme le dirait l’autre, ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a créé l’électricité. Donc il va falloir passer à autre chose, changer de logiciel. « On ne peut pas changer l’histoire, mais on peut changer l’avenir », prévenait l’ancien président François Hollande.

 

Les Africains doivent commencer à questionner leurs comportements et leurs actes. Or, c’est à ce niveau que le bât blesse. Leur responsabilité dans la situation actuelle de leur continent est une réalité que personne ne peut raisonnablement et valablement nier, au risque de tomber dans le déni. Dans tous nos écrits, nous avons mis les Africains face à leurs responsabilités. Dans notre dernier ouvrage Construire l’émergence, voici ce que nous écrivions aux pages 602-603 : « Point de bouc émissaire ! On ne peut pas continuer à se défausser sur une mystérieuse main étrangère à chaque tracas. Il faut arrêter le discours victimaire, assumer ses responsabilités et avoir le regard lucide sur la situation de l’Afrique. Point de fatalité ! Nous ne pouvons pas être en détention et revendiquer les privilèges de la liberté. Il est vrai que c’est une position normale d’un détenu que ne pas être à l’aise. Le célèbre romancier allemand Goethe disait : « Personne n’est plus en esclavage que celui qui croit à tort qu’il est libre ». Oui ce sont nous, les Africains, qui avions mis notre continent et nos pays dans les liens de la servitude. Il est illusoire de croire que le développement économique de l’Afrique sera le fruit du hasard, en jouant à la roulette russe. C’est faire preuve d’angélisme et d’imprudence manifeste. Faut-il attendre des « partenaires » de l’Afrique qu’ils développent le continent ? Assurément, non. Ce sera trop leur demander. Et même si c’était le cas, ils ne le feront pas. Les relations économiques internationales sont un jeu à somme nulle. Chaque État veille, légitimement et jalousement, sur ses intérêts. Et tout y passe pour les préserver. Il va falloir s’y résoudre définitivement, le développement de l’Afrique ne viendra pas d’ailleurs. Ni maintenant ni demain. Il viendra, ou ne viendra pas, par le seul fait des Africains. Tant mieux, bien sûr, si un soutien étranger peut y contribuer…»

 

 Maladresse ?

Dérapage ? Faux-pas ? Bourde ? En quelques minutes, la cote de popularité du président français Emmanuel Macron en Afrique, déjà écorchée par son intervention plus qu’hasardeuse sur la Zone franc, a viré du vert au rouge. L’apprentissage de la fonction présidentielle est ardu. En France, pas moins que dans les autres pays. Surtout quand on est jeune et qu’on n’y a pas été préparé. Chaque mot prononcé, chaque acte posé sont scrutés, analysés et interprétés par des millions de personnes, au-delà des frontières nationales. En vérité, il faut se résoudre à cette sagesse arabe : « Le mot que tu retiens entre tes lèvres est ton esclave. Celui que tu prononces est ton maître. »

Aîné d’une fratrie de 12 enfants (une équipe de football !), nous avons pu prédire plusieurs mois à l’avance la recomposition du paysage politique français et la victoire nette et éclatante de Emmanuel Macron à la Présidentielle. Autant dire que le personnage nous fascine et son parcours nous inspire. Des milliers de personnes dans la presse et sur les réseaux sociaux suivent nos analyses. C’est dire que nous n’accepterons jamais qu’on tordre le cou à la vérité pour alimenter l’injustice, l’arbitraire, la xénophobie, le racisme, et cela quel que soit l’auteur ou la victime. Nous sommes convaincu que Emmanuel Macron n’est ni xénophobe ni raciste. C’est un dirigeant pragmatique qui a le langage direct et quelque fois heurtant. En tant que Président d’un grand pays comme la France, il doit s’habituer à le nuancer.

Choquer pour avancer ?

 

Chers amis africains, vous avez maintenant compris. Tout au moins, vous êtes prévenus. Une sagesse burkinabè nous enseigne : « Quand le canari se casse sur ta tête, il faut en profiter pour te laver ». Le mot d’ordre du monde actuel est clair : choquer les Africains pour les obliger à avancer, pour eux-mêmes et pour les autres. La France, généreuse et humaniste, en a assez de vous porter et de vous supporter. Et c’est vrai. Assis sur des mines d’or, de diamant et autres, à côté d’immenses fleuves et de riches terres arables, avec « une bouche qui dégage une haleine de pétrole » (l’expression est empruntée au politologue sénégalais Babacar Justin Ndiaye), vous continuez à tendre la sébile. Mieux, une bonne partie de l’aide reçue est détournée pour être transférée et placée… dans les pays d’origine de ces fonds. A un moment donné, les “aumôniers internationaux”, excédés et aux prises avec la récession (ou la dépression) de leur économie et la pression de leurs contribuables, lâchent quelques paroles blessantes, choquantes ou désopilantes. La France vient d’annoncer la couleur. Le 11 juillet dernier, son gouvernement a réduit l’aide publique au développement de 140 millions d’euros pour lui permettre d’être dans les clous du Pacte de stabilité (déficit budgétaire à 3% du PIB).

Maintenant, les Africains doivent s’assumer et arrêter avec les modèles économiques importés d’ailleurs qui ne font que sécréter l’assistanat et la pauvreté. Sur le continent, une lutte implacable doit être engagée par les gouvernants contre le gaspillage, la corruption et la mauvaise gouvernance. Il faut donner la priorité absolue à la production et à la transformation des matières premières, en veillant à ce que la richesse produite soit bien repartie (justice sociale). Osons tourner en dérision le lazzi de Rama Yade : « L’Afrique ne peut plus être le paillasson du monde ‘’civilisé’’. » Vivement que la sortie de Emmanuel Macron soit le dernier clou porté au cercueil de l’aide publique à l’Afrique ! Il faut savoir perdre un vairon pour pêcher un saumon.

Les limites de l’aide

L’Afrique ne peut pas continuer à tendre la main ad vitam aeternam. L’aide a ses limites. Tous les économistes sont d’avis qu’aucun plan de développement crédible ne peut être impulsé de l’extérieur, encore moins reposer sur les capitaux étrangers au risque de secréter l’assistanat, la pauvreté et la dépendance du pays adressé. Selon certains experts « l’aide internationale n’implique pas le développement économique. Elle n’en est ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante. Elle peut même constituer une entrave importante à ce développement ». Le directeur adjoint du département Afrique du FMI Roger Nord, s’exprimant à la tribune de l’OCDE, déclarait en octobre 2015 : « L’histoire économique nous a appris que le développement économique repose finalement sur la création et le développement des sources intérieures de financement. »

 

En vérité, de tout temps et en tous lieux, l’aide étrangère a toujours montré ses limites. Elle est imprévisible et variable. Elle n’a jamais développé un pays. D’ailleurs, si elle le pouvait, ça se saurait. Au contraire, elle crée une accoutumance poussant son bénéficiaire à la génuflexion éternelle. Et Haïti, le premier pays noir indépendant dans le monde, aurait été la forme la plus aboutie de ce modèle. Pourtant deux siècles après son indépendance, ce pays particulièrement fertile en aide en tout genre, ploie sous la misère de sa population. De l’aveu de l’ancien Premier ministre haïtien, Michèle Pierre-Louis, de passage à Montréal le 9 mai 2012, « les effets de l’aide internationale en Haïti ne sont visibles qu’au microscope ». Selon une étude Développement endogène et limites de l’aide internationale en Haïti, menée par Stéphane Pallage et Nicolas Lemay-Hébert, Haïti a bénéficié au titre de l’aide internationale au développement d’un transfert moyen de 8,2 % de son PIB durant la période 1965-1995. C’est l’équivalent de quatre plans Marshall par année pendant au moins trente ans ! Et paradoxalement, le niveau de vie des Haïtiens a décru de 20 % entre 1960 et 2007 ! Les auteurs concluent que « l’aide internationale n’implique pas le développement économique. Elle n’en est ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante. Elle peut même constituer une entrave importante à ce développement ». Ce point de vue semble être partagé par le président sud-africain. Lors de l’inauguration de la NDB (New Development Bank), en juillet 2014, Jacob Gedleyihlekisa Zuma a déclaré que « l’aide occidentale à l’Afrique vient avec des restrictions, des conditions pour nous maintenir dépendants ».

Il ne faut donc pas se tromper de responsabilités : les Africains sont tenus à la construction de leur continent et leurs partenaires (PTF) ne peuvent être que conviés à appuyer cette œuvre. Inverser les rôles, c’est renoncer tout simplement au développement. La forte dépendance des économies africaines vis-à-vis de l’extérieur n’est pas sans conséquence sur le choix des politiques publiques qui restent imprimées par la volonté des donateurs et le rythme de leurs décaissements.

Un ancien président malien disait que « l’aide la plus utile et la plus noble est celle qui vient de nous-mêmes ».

Ne nous embaumons donc pas d’illusions. En un mot comme en mille, personne ne fera le développement de l’Afrique à la place des Africains. Il faut donc changer de logiciel de développement. Est-ce à dire que l’Afrique doit vivre en autarcie et tourner définitivement le dos à l’aide internationale ? Pas du tout, ce sera faire preuve d’irresponsabilité. Le temps ne se prête pas à une ligne isolationniste. L’indépendance financière se prépare ; elle ne s’improvise pas. Par contre, soyons clair, il ne peut pas y avoir de développement inclusif en confiant les économies africaines aux institutions multilatérales et aux partenaires bilatéraux, avec l’espoir qu’ils sauront faire preuve de mansuétude à leur égard. Et même à rêver que les pays donateurs ralentiraient leur économie pour que celles de l’Afrique puissent décoller. Où a-t-on vu un prédateur affranchir sa proie et la hisser à sa hauteur ? Ce sera bien beau, mais cet angélisme n’est pas de ce monde. Soyons donc lucides ! La liberté économique s’arrache et se détache, elle ne se lâche pas.

 

Oui, il faut arrêter l’aide publique au développement…

L’aide publique à l’Afrique est devenue un tonneau des Danaïdes. L’ancien diplomate français Laurent Bigot, chroniqueur pour Le Monde Afrique, livre son analyse sans concession : « L’aide publique au développement est d’abord un business qui fait vivre des dizaines de milliers de fonctionnaires internationaux et nationaux mais aussi une myriade de consultants. Ils ont tous en commun un objectif : ne pas scier la branche sur laquelle ils sont assis et sur laquelle ils vivent grassement. J’ai toujours été fasciné par l’irresponsabilité que génère l’argent de l’aide publique au développement. C’est l’argent de personne. Tout le monde se comporte comme si c’était de l’argent créé ex nihilo. Les bailleurs sortent pourtant ces sommes de la poche de leurs contribuables mais n’ont aucune exigence sur l’utilisation. Les bénéficiaires n’ont guère plus de considération pour ces sommes (parfois folles) qui tombent dans leur escarcelle sans grand effort (on se demande d’ailleurs s’il n’y a pas une prime au mauvais élève…). » Le consultant français poursuit : « L’Afrique ne mérite-t-elle pas un objectif plus ambitieux, à savoir la fin de l’aide ? N’est-ce pas la vocation de l’aide publique au développement que de s’arrêter, signe qu’elle aura atteint ses objectifs ? Il est temps qu’une grande conférence internationale fixe le terme de l’aide, adressant au monde un message clair : l’Afrique peut soutenir son propre développement sans être assistée. Pour cela, il faudra changer les mentalités et ce ne sera pas une mince affaire. »

Oui, l’Afrique n’a pas besoin de charité. L’Afrique a plus besoin de partenaires que de donateurs, de prêts libres que de dons liés, de relations durables que de générosité vénérable. L’émergence souhaitée exige une radicalité pragmatique, au sens primaire des mots : “radicalité” dans le sens de prendre le problème à la racine, et “pragmatique”, comme le plus proche possible de la réalité. Les sources de croissance doivent être diversifiées, en mettant en œuvre des solutions innovantes, audacieuses et vigoureuses de mobilisation de financements internes et externes. Parmi ces leviers, il y a la gouvernance. En français facile, il s’agit de la lutte contre la fraude sous toutes ses formes. La sortie illicite des capitaux est une de ses manifestations.

 

…et arrêter la fuite des capitaux de l’Afrique

Le Groupe de haut niveau chargé de la question des flux financiers illicites (FFI) dirigé par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki a évalué l’ampleur du phénomène et est arrivé à la conclusion que l’Afrique perd chaque année la somme colossale de 50 milliards de dollars, soit plus que l’aide publique qu’elle a reçue en 2012 (46 milliards de dollars). Dans certains pays africains, il y a même plus de sorties de capitaux que d’entrées. À en croire ce groupe d’experts les auteurs du Rapport Thabo Mbeki, présenté et adopté lors du 24e sommet de l’Union Africaine tenu les 30 et 31 janvier 2015 à Addis-Abeba, l’Afrique a perdu durant les cinquante dernières années, plus de 1 000 milliards de dollars du fait des flux financiers illicites. Et le phénomène a crû de 20,2 % par an durant la période 2002-2011, selon Association Global Financial Integrity.

Soyons concret. Prenons comme exemple, le Mali. Ce pays africain qui peine à se remettre de la crise multidimensionnelle de 2012 a comme principale recette d’exportation l’or (environ 70% des recettes globales). Jusqu’à récemment, il était le troisième producteur africain de métal jaune avant d’être surclassé par le Soudan. Dans un rapport intitulé Balance des paiements et position extérieure globale du Mali publié sur son site institutionnel en juin 2016, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a indiqué : « Le secteur aurifère ne profite que très peu au Mali, dans la mesure où le métal précieux est exporté à l’état brut, pour être raffiné à l’étranger. » L’institution financière communautaire poursuit en des termes très explicites : « Les exportations d’or ne participent que très faiblement à la consolidation des réserves de change, compte tenu du défaut de rapatriement des recettes (moins de 5 % de taux de rapatriement des recettes), maintenues, pour l’essentiel, dans les comptes offshore détenus par les sociétés. » Vous avez bien entendu, pardons vous avez bien lu ! Moins de 5 % des recettes d’exportation d’or du Mali sont rapatriées. Tout le reste – pour ne pas dire le tout – est gardé par les sociétés minières (majoritairement filiales de multinationales) dans les comptes offshores. Et ce n’est pas tout !  Sur les 5 % de recettes rapatriées, au moins la moitié des devises est retenue et déposée sur le « compte d’opérations » au Trésor public français, en vertu de l’Accord de coopération monétaire conclu avec la France. Que reste-t-il finalement aux Maliens pour développer leur pays ? La somme minuscule correspondant à 2,5% des recettes d’exportation d’or. Qu’il puisse y avoir des doutes quant à la véracité des chiffres officiels sur la production réelle d’un secteur aussi stratégique et important que celui de l’or, relève de l’étrangeté ; mais de surcroît que plus de 95 % des recettes d’exportation aurifère déclarées ne puissent pas être rapatriées, est non seulement illégal, et simplement inconcevable. Comment peut-on détenir et retenir les devises d’un État souverain sur des « comptes offshore » ouverts et appartenant à des sociétés étrangères ou nationales exploitant l’or extrait du sous-sol malien, et cela en violation de toutes les dispositions légales et réglementaires, locales et internationales ? D’une façon générale, selon les chiffres officiels de la BCEAO, le taux de rapatriement des recettes d’exportation n’est que de 23 %. Un an plus tôt, il n’était que de 17,2 %. Les pays et les banques qui abritent ces fonds sont fortement interpellés.

 

Voilà des domaines que la communauté internationale peut et doit préempter et investir pour arrêter les flux financiers illicites en provenance de l’Afrique.

Pistes de solution

 

Il s’agit d’agir dans deux sens : le stock et les flux.

 

  1. Gérer le stock

 

Les fonds détenus par les Africains doivent être rapatriés dans leurs pays d’origine.

 

  1. a) Au niveau de la communauté internationale

 

Circulariser les banques domiciliataires des fonds incriminés ;

Rapatrier dans les pays d’origine les devises sorties illégalement du continent africain ;

Rapatrier les recettes d’exportation détenues dans les « comptes offshore ».

  1. b) Au niveau des pays africains

Il s’agit de mettre en place, au niveau de chaque pays, une amnistie sur les avoirs détenus par les Africains à l’étranger. Cette mesure d’incitation a pour but le rapatriement des fonds sortis illicitement du continent et leur réinsertion dans le circuit économique local. Les Autorités publiques peuvent s’inspirer de l’exemple marocain. Dans le cadre d’une opération d’amnistie financière inédite, l’Office des Changes du Maroc a réussi à rapatrier au 7 janvier 2015 l’équivalent de 27,85 milliards de dirhams (8,42 milliards en avoirs liquides, 9,56 milliards de biens immeubles et 9,87 milliards d’actifs financiers) sortis illégalement du pays, contre une prévision initiale de 5 milliards de dirhams. Cette opération financière, introduite par la loi de finances marocaine 2014, a été réalisée avec le concours des banques et a enregistré 18 973 déclarations. Les déclarants ont payé une « contribution libératoire » variant de 2 à 10 % selon la nature des déclarations. Ces contributions libératoires ont permis à l’État marocain de récolter la somme de 2,3 milliards de dirhams qui a été totalement reversée au Fonds de cohésion sociale et permettra, entre autres de financer l’opération « 1 million de cartables » et d’assurer un soutien aux orphelins. Selon les auteurs, « la confidentialité et l’anonymat étaient un facteur essentiel de la réussite de l’opération. La banque ne divulgue, en effet, en aucun cas l’identité du déclarant ni à l’Office des changes ni à la Direction générale des impôts. Le seul document livré à ces deux administrations est un bordereau-avis de versement contenant uniquement le numéro d’enregistrement de la déclaration. » Au-delà de la période d’amnistie, toute personne qui détiendra encore des avoirs à l’étranger sera poursuivi pénalement et ces fonds seront confisqués avec à la clé une grosse pénalité.

 

  1. 2. Gérer les flux

 

Il faut arrêter l’hémorragie en mettant un double garrot à l’amont et à l’aval.

  1. a) Au niveau des pays africains

Plusieurs structures sont interpellées : les services spécialisés des ministères des Finances, de la Justice et de la Sécurité, les organisations faîtières des opérateurs économiques, la banque centrale, les banques commerciales, la société civile, etc.

Il faut mettre en place un dispositif d’information et de sensibilisation de tous les acteurs financiers et non financiers ;

Il faut prendre un arsenal de mesures juridiques pour sanctionner pénalement et civilement tous les contrevenants à la loi et à la réglementation.

A nos amis banquiers que nous côtoyons depuis plus d’un quart de siècle, c’est vrai que vous n’êtes ni des gendarmes, ni des policiers, aimait-on nous répéter. Mais vous êtes qu’à même engagés pour le développement de vos pays et de votre continent. Alors, faites preuve de « patriotisme financier » ! L’avenir de l’Afrique est entre vos mains. Plutôt à la pointe de votre stylo. Chaque fois que vous signez un document pensez d’abord à votre pays, à votre continent. Se comprenant à demi-mot, on peut donc se parler en litote. Enumérons, à titre symbolique, quelques recommandations à mettre en œuvre :

Respectez scrupuleusement la réglementation bancaire en arrêtant les transferts financiers non justifiés ;

Pour les « transferts documentés » aussi appelés « transferts commerciaux », n’accordez des « dérogations » que pour des contreparties qui respectent leurs engagements ;

Demandez à la Banque Centrale d’alléger la liasse de documents pour les transferts commerciaux et de diligenter les demandes de couverture ;

Engagez-vous au rapatriement des recettes d’exportation à travers un suivi rapproché et rigoureux des intentions d’exportation qui sont domiciliées dans vos livres ;

Sensibilisez votre clientèle sur les risques liés à la sortie des flux financiers illicites ;

N’aidez pas à l’ouverture illégale des « comptes offshore » à vos clients, fussent-ils VIP (dirigeants politiques et économiques, « gros clients », etc.) ;

Renforcez les départements « Compliance » pour détecter et déclarer toutes les irrégularités liées à la fuite des capitaux ;

Pour les opérations de trade (transferts, crédits documentaires, remises documentaires…), vérifiez bien les factures qui vous sont remises pour déceler éventuellement des irrégularités (modifications de prix, changements de la nature des produits, l’origine des produits, etc.). En relation avec les fournisseurs étrangers, les importateurs locaux peuvent modifier les montants de leurs factures à la hausse pour sortir frauduleusement les capitaux du pays. Tout comme, il peut avoir des faux achats.

 

 

 

  1. b) Au niveau de la communauté internationale

 

Les banques qui reçoivent les fonds incriminés (flux financiers illicites) doivent immédiatement les retourner aux établissements d’origine. En aucun cas, elles ne doivent exécuter ces opérations ;

Les banques ne doivent ouvrir des comptes offshore à la clientèle résidente en Afrique que dans le respect strict des lois internationales, de la réglementation locale de la banque et de celle du pays d’origine du demandeur ;

Arrêtez de commercer avec les banques récidivistes qui tutoient les lois et règlements.

Conclusion

L’Afrique est une grande question. La réponse est avec les Africains. Puissances du monde, du G20, du CAD, de l’OCDE, jouez vos partitions en arrêtant l’aide publique à l’Afrique et en mettant, aussi, un terme définitif aux flux financiers illicites en provenance du continent vers vos pays. Laissez l’Afrique avec ses femmes, ses enfants et ses familles nombreuses ! A l’heure du compte, elle décomptera sans mécompte.

 

Par Cheickna Bounajim Cissé

 

Bio-express

Cheickna Bounajim Cissé est économiste et essayiste. Il est titulaire d’un MBA de l’Université de Paris Dauphine et de l’IAE de Paris (Université Panthéon-Sorbonne). Détenteur d’un Master professionnel en Sciences Politiques et sociales – option Journalisme – de l’Institut Français de Presse (Université Panthéon-Assas), il a une Maîtrise en gestion des entreprises de l’ENA de Bamako et est diplômé d’études supérieures en Banque (ITB – CNAM de Paris). Il est l’auteur de l’acronyme MANGANESE, désignant neuf pays africains émergents ou en voie de l’être. Il est aussi l’auteur de plusieurs publications et est contributeur pour plusieurs médias. Son dernier ouvrage « Construire l’émergence, un pacte pour l’avenir » a été publié en octobre 2016 aux éditions BoD. Il est co-fondateur du Club Madiba pour une Afrique nouvelle, et est Président de la Commission « Banques & Compétitivité » du Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE).

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