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Fonction publique, cette autre industrie de la fraude qui gruge les caisses

Les scandales à répétition des dernières semaines braquent les projecteurs sur un business des plus sordides, mais aussi des plus lucratifs dans notre administration publique. 

Des recrutements frauduleux aux pensionnés inexistants, en passant par les fonctionnaires fictifs ou encore le gonflement des effectifs, le chapelet des entorses à la règlementation est très long. A ce jour, tous les efforts de rationalisation des effectifs restent dilués par une nébuleuse qui survit à tous les coups.

S’il y a un pan de la vie nationale dans lequel la fraude est magnifiée et élevée au rang d’une science en perpétuelle évolution, c’est bien la fonction publique. Tous les efforts, depuis trente ans, pour maîtriser et rationaliser ses effectifs se sont heurtés à une nébuleuse ingénieuse qui s’adapte et résiste à toutes les tentatives de réforme.

Née aux forceps dans la foulée de l’indépendance nationale, sans aucune préparation préalable, la fonction publique guinéenne ne s’est toujours pas défaite de sa maladie congénitale. Pléthorique et corrompue jusqu’au trognon, elle demeure ankylosée par un personnel souvent mal formé et inadapté aux nouvelles réalités économiques dans un environnement mondialisé et compétitif. Elle ne semble toujours pas assimiler ses missions premières d’administration publique au service de l’intérêt général, et d’instrument de développement.

Malgré toute sa volonté affichée dès son élection en 2010, Alpha Condé semble à son tour buter sur cet os qui lui donne du grain à moudre. La faute revient principalement aux ministres qui se sont succédé à la tête de ce département, très peu enclins à trancher avec de vieilles habitudes. Ne dit-on pas qu’on ne fait pas du neuf avec de l’ancien ? Or, c’est justement ce qu’on tente de faire ici, presque depuis toujours.

Comment peut-on reformer l’administration publique avec des ministres qui y insèrent frauduleusement enfants, épouses et amis ? Comment réussir le pari de la mise en place d’une école nationale d’administration de qualité, quand les cadres chargés de l’opérationnalisation du projet pensent avant tout à préserver leurs postes ; au détriment de la formation de qualité de nouveaux fonctionnaires ? Comment peut-on remettre ce corps hydrocéphalique au travail, quand on y injecte tous les jours et frauduleusement des personnes qui n’ont pour seule qualification que leurs cartes de membres du parti au pouvoir ?

Tenez, en une dizaine de jours à peine, alors que le chef de l’Etat a interdit la signature de tout arrêté ministériel, le quotidien électronique Guineenews a publié deux arrêtés de recrutement frauduleux dans les effectifs de l’administration du territoire et de l’éducation nationale. Quatre-vingt-douze nouveaux fonctionnaires recrutés en catimini viendront occuper des postes sensibles de secrétaires généraux de communes, dans le premier cas.

Dans le second, il s’agit de l’enrôlement de 136 nouveaux enseignants sans aucune qualification dans ce domaine, et surtout sans aucune forme de concours ou de test. L’incohérence de la démarche saute aux yeux quand on sait que le gouvernement se plaint de ses difficultés à assurer la récente augmentation de 40% sur les salaires des enseignants. Pis, il nous rabâche sans cesse les oreilles avec des discours sur le faible niveau des apprenants et la nécessité de qualifier le corps enseignant !

Le Syndicat Libre des Enseignants et Chercheurs a eu donc raison de hausser le ton face à cette industrie de la fraude d’Etat. Mais l’on s’est réjoui de la traduction en justice de fraudeurs aux diplômes il y a à peine quelques mois, il serait tout aussi cohérent de demander des comptes aux experts de la filouterie institutionnelle qui écument le cercle des décisions et d’engagements à la fonction publique. Ces cadres sont aussi les architectes de la problématique des pensionnés inexistants et des fonctionnaires fictifs. Les complicités étendent certainement leurs tentacules au budget et aux finances, sans lesquels cette juteuse magouille ne peut prospérer.

Ni le premier ministre, chef de l’administration, ni le président de la République ne doivent accepter ces dérives qui diluent tous les efforts consentis dans le but de rationaliser notre administration publique. Autrement, c’est la conscience collective qu’on souillerait, et qui n’aurait plus ni le courage de prévenir des excès, ni la force de punir les coupables de crimes futurs.

 

Mohamed MARA, sur radio Espace

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