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Enquête/Kindia : Les redevances minières de Rusal suscitent la discorde

A l’image des autres préfectures qui abritent des activités minières, Kindia perçoit d’importantes redevances versées par la Compagnie des Bauxites de Kindia (CBK), détenue par Rusal, au titre de la contribution au développement local (CDL). Ces mannes financières constituent les plus importantes ressources de la préfecture. Mais leur gestion ne fait guère l’unanimité. Enquête exclusive. 

La préfecture de Kindia est à environ 130 km à l’est de Conakry. Elle a une population estimée à 439,614, selon le recensement général de la population réalisé en 2014. La majorité de la population vit dans les zones rurales et tire ses revenus de l’agriculture. C’est dans cette localité que la CBK exploite la bauxite depuis 2000.

La société est assujettie au paiement de 0,1 USD par tonne nette de bauxite exportée au cours du trimestre payé conformément à l’annexe C de la convention signée avec le gouvernement guinéen, portant sur la contribution au développement local (CDL), prescrit à l’article 130 du code minier.

En 2016, la compagnie russe a versé à la préfecture de Kindia un montant de 2 989 453 500 GNF conformément à son engagement, selon le rapport de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) 2016.

La société Rusal CBK qui opère sur 344 km² a exporté 3,2 millions de tonnes de bauxite d’une valeur de 1 242 milliards de francs guinéens soit 134,6 millions USD au cours de la même année, précise la même source.

La contribution au développement local permet la réalisation de la plupart des infrastructures communautaires au niveau des collectivités abritant l’exploitation minière. La gestion de cette redevance pose problème dans les différentes localités. Soit les fonds versés pour la réalisation des ouvrages sont détournés de leurs objectifs, soit les réalisations ne répondent pas aux besoins des communautés, soit les infrastructures réalisées ne sont pas conformes aux montants décaissés. Comment la CDL payée en 2016 par la CBK a-t-elle été gérée ?

A Kindia, la CBK verse annuellement des montants au titre de la CDL en faveur des zones impactées par l’exploitation minière. A ce titre, l’entreprise a payé plus 23,326 milliards de francs guinéens entre 2001 et 2017.

Notre rédaction s’est intéressée au modèle de gestion de la CDL et au respect des procédures de passation des marchés et redevance.

Répartition au prorata des besoins des collectivités !

Comment et quand la clé de répartition est-elle établie? Selon notre enquête, elle est décidée à l’occasion d’une session spéciale tenue par le Conseil Préfectoral de Développement (CPD)  au cours duquel les autorités locales, préfectorales, et la société civile sont conviés. Cette session est assortie d’un procès-verbal qui explique comment la clé de répartition a été décidée.

Le secrétaire général en charge des collectivités décentralisées, Kabinet Diawara précise : « sans une clé de répartition, (…) nous, nous sommes basés sur un système de péréquation. Parce qu’il est dit que les zones directement impactées par l’exploitation minière doivent bénéficier de l’entièreté du fonds. Si on suit cette logique, les autres collectivités n’auront rien. C’est pourquoi, on convoque une session pendant laquelle on discute de comment il faut faire en priorisant les collectivités qui abritent la société minière. Elles ont leur part et le reliquat, la session décide de comment il faut penser aux autres collectivités

La clé de répartition n’obéit pas encore aux nouveaux textes réglementaires. Jusqu’en 2017, il n’y avait pas de texte juridique qui explique comment se fait la répartition de la CDL contrairement à celle des redevances superficiaires. Les textes d’application de la CDL qui alimente le Fonds de développement économique local (FODEL), notamment le décret et l’arrêté conjoint, ont été adoptés respectivement en octobre et novembre 2017, mais les instances et les procédures de gestion du dispositif ne sont pas encore opérationnelles au niveau des préfectures.

La répartition de la CDL a été faite selon le graphique suivant:

N’obéissant pas à un texte réglementaire national, la répartition de la CDL ne fait pas l’unanimité auprès de certains bénéficiaires interrogés pendant notre enquête. C’est le cas du secrétaire général de la commune rurale de Friguiagbé, la localité qui a bénéficié de 670 millions GNF. Mohamed Kadjaliou Noyoko souligne : « Je suis contre cette clé qui dit qu’il faut donner les fonds à des structures comme la gendarmerie, la police, les religieux, etc. alors qu’elles ont leur budget à part. Voilà pourquoi je suis frustré. Pour les autres sous-préfectures de Kindia, je suis d’accord.»

Du modèle de gestion des fonds

La redevance portant sur la CDL payée par la CBK a permis aux collectivités bénéficiaires de réaliser certaines infrastructures.  Néanmoins, la question de la gestion rationnelle des fonds se pose. On constate ainsi que le coût de réalisation des infrastructures varie selon la source.

Ainsi, « pour l’année 2016, précise le secrétaire général de la CR de Friguiagbé, nous avons réalisé un poste de santé dans le district de Kanty, situé à 17 km de Friguiagbé, à hauteur de 340 millions GNF, on a réhabilité le marché de Friguiagbé centre à 158 millions GNF. Nous avons réalisé aussi deux forages à 180 millions GNF. Donc, pour l’année 2016, le montant a été absorbé par ces réalisations-là ».

Cependant, d’après Mme Aïssata Diabaté, receveur communal de Friguiagbé « En 2016, nous avons fait un poste de santé dans le district de Kanty à hauteur de 410 millions GNF, nous avons fait les travaux du hangar au marché de Friguiagbé avec un cout de 58 millions GNF. Nous avons procédé aux travaux de reboisement à 9 millions GNF».

Alors que le premier parle de 340 millions GNF pour la réalisation du poste de santé de Kanty, la seconde annonce le montant de 410 millions GNF. Un écart de 70 millions GNF sort de la comparaison de ces deux sources.  Concernant la réhabilitation du marché central, M. Noyoko affirme que ça a coûté 158 millions GNF alors que le receveur parle de 58 millions GNF. A ce niveau aussi, une différence de 100 millions GNF, est à noter. L’autre constat concerne la diversité des propos sur l’utilisation des fonds. L’un parle de la réalisation de forages et l’autre converse sur des travaux de reboisement.

Cependant, malgré nos multiples demandes, aucun document officiel attestant la réalité des propos des uns et des autres ne nous a été transmis par les autorités citées ci-haut.

Une étude réalisée par l’ONG Action Mines Guinée, relève d’autres montants et d’autres infrastructures, portant sur la même redevance, mais qui totalisent les 100%.

Toutefois, devant notre insistance, le service préfectoral de développement (SPD) quant à lui, nous a transmis un document. Ce document-ci répertorie les actions réalisées à Friguiagbé avec la CDL de la CBK.

Ces actions sont décrites dans le camembert  suivant :

 

Ces écarts s’expliquent par le fait que le secrétaire général et le receveur communal ne semblent pas avoir les mêmes informations, à moins que l’une des sources n’ait volontairement pas fourni la bonne information. Le manque de communication ou encore l’archivage des factures inadapté dénotent d’une défaillance au niveau de la gouvernance locale.

Cette situation laisse un goût amer auprès de certains citoyens interrogés. « La gestion de ces fonds reste une affaire de l’autorité locale », martèle Abdoulaye Soumah, responsable de la jeunesse de la Cité Pouskine. « La gestion de cet argent est complexe. Il y a la gestion dans la pratique et la gestion prévue par les textes juridiques. A Kindia, ce n’est pas une gestion juridique », déplore Nfansou Sano de l’ONG CEGUIFED. Pour lui, « on ne peut pas être juge et partie à la fois. Dans le CPD (comité préfectoral de développement), c’est l’autorité préfectorale qui préside et c’est lui qui reçoit l’argent. C’est lui qui gère, c’est lui qui décide et c’est lui qui évalue. A ce niveau, la transparence laisse à désirer. »

Conformité des projets d’investissements aux PDL & PAI 

Dans la plupart des cas, les actions réalisées dans les collectivités de Kindia sont tirées du Plan Annuel d’Investissement (PAI) découlant du Plan de Développement Local (PDL). Pour réaliser un projet d’investissement auprès des communautés, M. Kabinet Diawara assure qu’ « au préalable, chaque collectivité présente son plan annuel. Les priorités qui sont là, il faut préciser que ce n’est pas les montants reçus qui peuvent couvrir tout ça. Mais ça peut les aider à faire face à certaines actions de développement qui sont avec elles ».

Le service préfectoral de développement (SPD) apporte un appui technique aux différentes collectivités, souligne Alkaly Traoré, le directeur des micros réalisations et membre du SPD. Cet appui technique se traduit par l’élaboration des projets pour les collectivités, de la participation à la passation des marchés, au contrôle technique des infrastructures en passant par l’élaboration des PAI, le suivi physique et financier des projets.

Voir camembert de l’utilisation des fonds CBK/CDL 2016

 

 Procédure de passation de marchés

A ce jour, l’élaboration des cahiers de charges et la sélection de l’entreprise bénéficiaire sont du ressort des autorités locales avec l’appui du SPD.

« La loi ne nous permet pas de faire des marchés gré à gré. Au niveau des collectivités, il faut faire un avis d’appel d’offres. Et les entreprises qui veulent soumissionner déposent les documents. Chaque collectivité a une structure qui s’occupe du dépouillement des dossiers», explique le secrétaire général,  Kabinet Diawara.

Dans les faits, quand les collectivités locales reçoivent de l’argent, elles lancent un appel d’offre, selon Alkaly Traoré du SPD. « (…) Un comité de passation des marchés est constitué autour de la CR qui passe le marché. Le SPD supervise pour voir si le marché se passe dans les règles de l’art. Mais c’est le comité qui dirige tout jusqu’à retenir un adjudicataire du marché », fait-il remarquer.

Malheureusement, nos demandes d’accès aux dossiers relatifs à ces projets n’ont pas été satisfaites. Et les documents que les différentes sources nous ont fournis ne font pas allusion aux infrastructures réalisées et citées lors de notre enquête.

« La passation des marchés est une façade », dénonce Amadou Oury Barry. Le journaliste affirme que « les autorités négocient avec une certaine entreprise pour lui dire que ce qui est prévu pour la réalisation de tel projet c’est tel nombre de millions. Vous pouvez faire jusqu’à tel montant et nous voici ce qu’on peut faire ». Pour lui, il est important que tout le monde soit rassuré que le marché a été ouvert à tout le monde et que toutes les entreprises désireuses de postuler ont pu le faire et le processus a été respecté comme le prévoit le code des marchés publics.

Pourtant, le code des collectivités, et celui de marchés publics en ses articles 19, 21 et 29, exigent la publication des dossiers d’appels d’offres pour permettre au public d’être informé pour des raisons de transparence du processus d’attribution des marchés et respecter le principe d’égalité des chances.

Faible contrôle rime avec infrastructures incomplètes 

Les fonds de la CDL de 2016 ont été utilisés pour la construction ou la rénovation des infrastructures de base.

Qui fait le contrôle des infrastructures ? A Kindia, le SPD contrôle le processus de bout en bout, nous ont rapporté plusieurs sources rencontrées. « Chez nous, le contrôle est périodique, affirme Kajaliou Noyoko. Spécialement le SPD travaille de commun accord avec la Commune rurale. Le SPD est impliqué, de la passation des marchés, au contrôle technique en passant par l’élaboration des PAI », ajoute-t-il.

Le président de la jeunesse de Friguiagbé reste insatisfait de la qualité des infrastructures réalisées avec les fonds déclarés. « Parler des réalisations à Friguiagbé, c’est un faux-débat. Quand vous prenez le marché, les femmes se plaignent », souligne Ben Oumar Soumah. Marie Camara, vendeuse au marché de Friguiagbé déplore la manière dont les activités ont été menées. «Ils disent qu’ils ont reconstruit le marché, mais nous sommes sous le soleil. Si c’est la saison des pluies, l’eau rentre. Nous et nos marchandises sommes exposés. Nous ne sommes vraiment pas convaincus des infrastructures réalisées chez nous ici ».

Là également, nous n’avons pas eu accès à des rapports évaluant la conformité des cahiers de charges préalablement établis. Certaines sources nous ont opposé une question de confidentialité et dans d’autres cas, ceux qui ont géré ne sont plus aux affaires.

La gestion rationnelle des redevances locales constitue un réel défi pour les localités minières, notamment Kindia, dans la mesure où l’identification des priorités de développement, la gestion des investissements, la transparence et la redevabilité se heurtent aux pratiques peu orthodoxes des responsables locaux. Ceci rend peu profitables les redevances versées par les sociétés minières au bénéfice des communautés impactées par les activités minières. La mauvaise gestion des CDL peut entrainer l’affaiblissement du cadre institutionnel local, l’échec des programmes et projets de développement local, l’accentuation de la pauvreté dans les communautés.

 Enquête réalisée par Mamadou Aliou BM Diallo

mamadoualioubm.diallo@gmail.com

 

 

 

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